Lauréat d’un SaloneSatellite Award qui récompense leur travail textile, le duo formé par Georges Ahokpe et Estelle Chatelin interroge la notion-même de design en faisant dialoguer héritage artisanal et réflexion sur la finalité de l’objet domestique.
Quelques semaines après leur retour de la Design Week de Milan, un rendez-vous qui leur a valu un SaloneSatellite Award, une récompense décernée chaque année à des projets innovants, durables et interactifs, les fondateurs de ce studio formé par une designer textile et un tisserand nous ont reçus dans leur atelier. Partenaires de travail (et couple à la ville), Georges Ahokpe et Estelle Chatelin ont amorcé, dès 2017, une réflexion poétique questionnant les pratiques de tissage à usage domestique tant au Benin qu’en Belgique.
Vous vous êtes rencontrés en 2014. C’était au Bénin. Expliquez-nous.
Estelle Chatelin : “En 2014, à la fin de mon Bachelier en Design Textile à La Cambre, j’ai eu la chance de partir au Benin dans le cadre d’un projet de coopération. C’est là que j’ai fait la connaissance de Georges et que j’ai découvert le tissage manuel tel qu’on le pratique là-bas. Il s’agit d’une tradition ancrée dans la culture locale depuis le 18ème siècle. Au terme de cette première expérience, j’ai pris une année sabbatique pour rencontrer d’autres acteurs de la filière dans le pays. Georges et moi avons ensuite décidé de collaborer sur mon projet de fin d’études : un travail de cocréation centré sur la conception d’objets tantôt inspirés des usages occidentaux, tantôt inscrits dans les traditions du Benin.”
Vous êtes aussi partis d’un constat : en Afrique, pour des raisons économiques, les objets en tissage, pourtant fortement ancrés dans l’artisanat local, sont fortement concurrencés par d’autres, moins chers – et moins qualitatifs – produits ailleurs dans le monde.
Notre travail consiste à lier les territoires. Pour chaque objet que nous concevons, nous réfléchissons à son inspiration, à la matière première, au procédé de production et enfin à sa destination. Dans le cas du hamac que nous avons présenté au SaloneSatellite, il s’agissait de créer un objet destiné à être vendu chez nous, mais fabriqué au Bénin avec une matière européenne en utilisant des fils d’anciens pulls que nous avons détricotés. Là encore, l’idée était de réfléchir à la manière dont nous pouvons revaloriser les vêtements vendus à bas prix sur les marchés en Afrique. Et, quand il s’agit de matériaux sourcés en Belgique, nous travaillons avec un centre de tri local.
La particularité de votre démarche circulaire, c’est qu’elle s’inscrit dans vos deux cultures.
Pour la version extérieure du hamac, nous avons utilisé des fils de polypropylène achetés dans une entreprise qui centralise les fin de stock de fabricants de tapis/ flooring dans la région de Courtrai. Le tissage a été réalisé en Belgique. Dans cette même idée, nous avons réalisé un pagne de cérémonie pour un dignitaire béninois sur base d’un tissage jacquard. Le matériau et le procédé de fabrication sont belges, mais l’origine et la finalité du produit est africaine. Dans ce cas précis, la symbolique est d’autant plus forte que le design est une interprétation graphique d’un bas-relief traditionnel, l’adage d’un roi et de ses symboles. Cette quête d’appropriation volontaire et assumée figure au cœur de notre démarche. Nous pensons qu’une vision plurielle peut permettre de valoriser des techniques et des savoir-faire. Tout comme notre réflexion sur nos modes de consommation frénétiques.
Vous considérez-vous comme des designers ou des makers ?
Georges n’a pas de formation de designer, mais il réfléchit avec moi sur chaque nouveau concept. A mi-chemin entre artisanat et design, notre pratique questionne d’ailleurs l’essence-même du métier de designer, ainsi que la manière dont nous pourrions éditer un travail essentiellement artisanal. Il faut en moyenne 5 ou 6 jours de tissage pour réaliser les bandes de tissu qui entrent dans la composition d’un hamac. Sans compter la phase d’élaboration de l’objet, ainsi que l’assemblage, manuel, lui aussi. A l’heure actuelle, nous réalisons des produits sur-mesure pour des clients privés, mais nous souhaiterions, à termes, collaborer avec des architectes d’intérieur. Ce type de partenariats nous permettrait de nous impliquer plus largement dans le processus d’élaboration du produit et, d’enrichir notre pratique et notre réflexion globale sur la préservation des savoir-faire et leur place dans les espaces à vivre.
Que retenez-vous de votre expérience à Milan ?
Pour Georges, c’était évidemment la découverte d’un univers inconnu : celui d’un salon international. Le Salone nous a offert une occasion unique de nous confronter aux acheteurs internationaux et à la presse. Notre participation au stand de Belgium is Design – et notre prix – nous ont valu une jolie visibilité, dont une mention dans Elle Déco China (rires).