Diplômé de la Design Academy Eindhoven (DAE), ce Français de 31 ans a choisi de se placer de l’autre côté du miroir en prêtant son regard à des musées, collectifs et institutions. Pour Belgium is Design il a réalisé The object becomes. Rencontre avec un réalisateur qui questionne le design avec poésie et bienveillance.
Qu’est-ce qui vous a amené vers le métier de réalisateur ?
Dans le cadre de mon Master à la DAE, j’ai commencé à m’intéresser à la scénarisation de l’objet et de son interaction avec le temps et l’espace. Quand j’ai réalisé mon premier film, j’étais complètement novice. Mais malgré ma méconnaissance du métier, ce nouveau statut de compositeur d’images m’a permis de mieux appréhender le médium. J’ai ensuite travaillé pendant un an dans une agence de publicité, le temps de construire ma vision et de me familiariser avec le travail en équipe. En parallèle, j’ai également étudié la théorie du cinéma. Puis, en 2016, fort de mes différentes expériences, j’ai fondé mon studio dans la foulée. Aujourd’hui, je me considère comme un constructeur d’objets cinématographiques. L’objet n’est pas une finalité, au contraire. C’est le départ de la narration.
Votre série de documentaires « Object Interview » est une vaste réflexion sur le design. Quelle est la question fondamentale qu’un designer doit se poser selon vous ?
J’ai dessiné ma dernière chaise en 2012… Ce qui me semble important, c’est de questionner la nécessité de produire de nouveaux objets. Ce qui m’intéresse, c’est de mettre l’existant en perspective. Quand je filme une chaise Thonet, ce qui m’intéresse c’est de la placer dans un contexte actuel, puis de questionner sa pertinence aujourd’hui.
Même quand vous filmez les coulisses du déménagement de la collection du musée du design de Gand vers un nouveau lieu d’archivage, votre regard est souvent décalé, mais aussi très poétique. Montrer l’envers du décor, c’est important ?
Quand j’entre dans un musée, je suis avant tout admiratif. S’immerger dans l’histoire du design, c’est à la fois fascinant et vertigineux. Quand j’utilise la poésie ou l’humour, c’est pour toucher un maximum de gens. Et même quand le ton est sarcastique, je tente d’insuffler de l’optimisme dans mon propos.
Vous enseignez et donnez des conférences au Pays-Bas, à Paris, à Berlin et à Turin. Quel conseil donneriez-vous aux designers qui sortent de ces écoles aujourd’hui ?
En 2013, quand j’ai terminé mon Master, sur 130 projets, l’image n’intervenait que sur une trentaine, tout au plus. Elle était anecdotique. Aujourd’hui, l’image a complètement envahi le monde du design. Je ne l’envisage d’ailleurs pas comme un outil de communication, un support de publicité ou un médium didactique. Il est beaucoup plus intéressant de capitaliser sur l’émotion que le designer a mis dans l’objet pour la transformer en images. Quand je travaille sur ce type d’approches avec des étudiants, je me concentre sur la méthodologie de recherche. Impossible de faire un bon film si on ne réfléchit pas à sa diffusion. Va-t-il être regardé sur un écran de télé, un ordinateur, un téléphone portable ou dans la « Black Box » d’un musée ?
Actuellement, vous êtes artiste résident au Musée des Arts Décoratifs de Paris (MAD Paris). Une fois de plus, vous vous trouvez en coulisses d’un prestigieux musée pour en filmer les arcanes. Au-delà de l’engouement toujours plus grand du public pour les expositions traitant de mode et de design, en quoi ces lieux sont-ils incontournables ?
Quand on entre au MAD Paris, au-delà des objets exposés, la confrontation historique liée à l’architecture du lieu est percutante. Pour moi, elle est un sujet de recherche à part entière. Comparée à un objet, l’échelle est différente, mais le point de départ est le même. Dans un musée, l’architecture et les collections fonctionnent en parfaite résonnance. L’architecture devient le décor de mon film. Les objets, mais aussi le personnel du musée, en sont les acteurs.
Vous vivez entre Paris et Amsterdam. Deux villes, deux cultures du design. Cette hybridation des approches est importante pour vous ?
Quand j’ai lancé mon studio, le formalisme parisien me paraissait peu en phase avec mon approche. Les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg étaient plus enclins à soutenir ce genre de démarche. Aujourd’hui, il est évident que ma réflexion est globale. Pas question pour moi de me limiter à une vision franco-française. Si, d’un pays à l’autre, la culture du design est différente, les enjeux, eux, sont globaux.
La récente crise du Covid a mis en lumière l’énorme potentiel de la vidéo pour présenter des projets, des idées et des collections de mode ou de design. Au risque de se perdre dans un flot d’images ?
Pour ma part, j’ai décidé que tous mes films seraient publics puisque je les considère comme des objets. Si vous créez une chaise, tout le monde doit pouvoir s’assoir dessus. Il en est de même pour mes réalisations. D’une manière générale, quand on cherche à questionner l’objet, il faut dépasser l’idée de l’image au sens strict. Il existe d’autres manières de questionner la forme, de parler de l’objet et, par extension, de qui on est : la performance, le son, les écrits…
Parlez-nous du film The object becomes. que vous avez réalisé en vue de la Design Week qui se tiendra à Milan en septembre?
Pour ce projet, j’ai travaillé en tandem avec la commissaire Giovanna Massoni sur la question du devenir de l’objet. Pour réfléchir au design d’aujourd’hui et de demain, nous avons sélectionné 9 designers belges aux profils très différents : de l’artisan au designer indépendant en passant par une structure plus industrielle. Dans le travail de ces designers, ce n’est pas tant l’objet qui m’intéresse, mais plutôt la pertinence de la recherche. Si ce travail m‘intéresse, c’est qu’il dépasse le contexte du film. Une fois de plus, nous avons voulu réfléchir à sa présentation dans l’espace et à l’installation qui va en découler.
Regardez le trailer du film: