« Le design est ancré dans notre quotidien » selon Arnaud Bozzini, directeur du Design Museum Brussels. Dans ce musée, pas de starification de l’objet mais des expositions et des fonds d’archives qui valorisent l’histoire du design et des objets qui nous entourent.
Le Design Museum Brussels vient d’inaugurer une version digitale de la the Plastic Design Collection, clé de voûte de cette institution qui décrète humblement que le plastique est fantastique pour comprendre là où nous en sommes, toute génération confondue. La preuve avec l’une des expositions temporaires actuelles de l’institution où l’Art nouveau entre en résonance avec le design plastique.
Quel a été votre parcours avant de diriger le Design Museum Brussels ?
J’ai une formation d’historien, puis une première expérience aux Archives de la Ville de Bruxelles, ce qui m’a amené à travailler sur le plateau du Heysel à Bruxelles pour l’exposition et l’ouvrage « Expo 58: Between Utopia and Reality » en 2008. J’ai exercé d’abord à l’Atomium puis en tant que directeur des expositions à l’ADAM (Art & Design Atomium Museum, devenu Design Museum Brussels en 2020). C’est en explorant l’architecture moderniste pour l’Atomium que j’ai touché au design, ce qui m’a amené à rencontrer Philippe Decelle et à découvrir sa collection de près de 2 000 pièces en matériaux plastiques et dérivés. Environ 150 pièces du Plasticarium de Philippe ont alors été exposées à l’Atomium. L’exposition à laquelle j’ai participé,
« Orange Dreams. Plastic is Fantastic » (2014), a mis en lumière cet ensemble singulier et incroyable.
En quoi cette exposition sur le design en plastique a été capitale ?
Quand elle a vu le jour, Philippe m’a évoqué son souhait de vendre toute sa collection. Bruxelles était à l’époque « traumatisée » par la vente d’une série de collections privées, parties à l’étranger. Il fallait honorer ce fonds brassant les années 1960 à nos jours et la démarche encyclopédique et éclairée de ce collectionneur. L’Atomium s’est donc porté acquéreur de la collection.
Que comporte et offre le Design Museum Brussels ?
C’est un vrai musée du design qui s’articule autour de deux expositions permanentes : un panorama de l’histoire du design en Belgique et la the Plastic Collection. Nous avons plus de 2 000 pièces de cette collection dont 500 montrées en permanence dans nos salles. Dans un même temps, notre programmation d’expositions temporaires traite de sujets très divers et connectés aux différentes époques et champs de la création en design. Notre démarche vise à ouvrir l’institution à un large public, en plus des ressources qu’elle met à la disposition de la recherche et de l’éducation (en 2024 nous développerons davantage le centre de documentation grâce à l’entrée de plusieurs fonds traitant de l’histoire du design en Belgique). Ainsi, nous avons récemment exploré et présenté les sujets liés aux graphisme des ères 70 et 80 (« Punk Graphics: Too Fast to Live, Too Young to Die », 2020), aux pratiques graphiques LGBTQI+ (« Brussels Queer Graphics », 2023), à la relation entre le design et les commerces comme des lieux d’expérimentation du design à part entière (« On Display. Quand le design investit la boutique », 2022), et de nombreuses expositions monographiques consacrées à des créateurs belges, comme Zéphir Busine ou encore Christophe Gevers en 2023. Aussi, nous grandissons grâce à une politique d’acquisitions (achats et donations) et l’accueil de nouveaux fonds d’archives de temps à autre.
Collaborez-vous avec des collections étrangères ?
Pour la plupart des expositions, oui. En 2020, avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin, nous avons un inauguré Belgisch Design Belge, espace permanent dédié au design belge qui comporte des réalisations des grands noms de l’Art nouveau, du design d’après-guerre et de contemporains, mais nous nous amusons à dire que nous ne sommes pas nationalistes pour autant ! Dès le début de mes fonctions en tant que directeur du Design Museum Brussels, j’ai souhaité collaborer activement avec des collections publiques et privées d’ici et d’ailleurs, qu’elles soient privées et parfois reconnues, comme celle de Galila Barzilai Hollander, qui nous apprêté dix chaises de sa collection pour « Chaise. Stoel. Chair. Defining Design » (2021), exposition réalisée en collaboration avec le Design Museum de Londres.
Qu’est-ce qu’un musée pour vous ?
Un lieu d’aujourd’hui qui partage un savoir et une expertise et qui travaille l’inclusivité au-delà du mot. Un lieu fondé sur la médiation et dont l’ambition est l’ouverture, le partage et le dialogue.
The Plastic Design Collection est désormais aussi accessible online, sur votre site web. Que représente sa numérisation ?
Plus de deux ans de travail de l’équipe pour arriver à une base de données en ligne qui soit à la fois accessible pour chacun et qui puisse tout contenir. Notre site internet offre aussi la possibilité de parcourir la salle d’exposition permanente consacrée à cette collection par l’intermédiaire d’une visite virtuelle et d’un livret accompagnant cette visite et présentant 20 meubles et objets culte, certains connus de tous comme les rangements Componibili d’Anna Castelli Ferrieri, produits depuis leur création en 1967.
Le matériau plastique est décrié aujourd’hui. Auparavant, il représentait une évolution des modes de production. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que le boom du plastique correspond aux suites de l’après-guerre, à la période de la reconstruction et des Trente Glorieuses, à l’émergence aussi de la société de consommation naissante et des industries qui ont littéralement poussé à créer plus, quitte à faire du jetable et à ne pas soucier des lendemains. Paradoxalement, cela nous a amené à de grandes innovations au niveau des formes et des techniques. La première crise pétrolière de 1973 et le début d’une conscientisation écologique ont participé à attirer l’attention sur la production d’objets en plastique et de questionner sa nécessité mais ce n’est que ces dernières années que l’on trouve des alternatives au plastique, avec des matériaux biosourcés, notamment, et que l’on choisit de produire autrement quand cela est possible.
Quelle place tient l’écoconception au Design Museum Brussels ?
Les initiatives pour le plastique recyclé restent encore nouvelles, et on travaille à intégrer des créations écoconçues dans nos prochaines expositions. Notre métier est d’être à l’écoute du public et pouvoir aussi partager aux chercheurs des ressources utiles. C’est pour cela que nous avons ouvert rapidement après l’ouverture du musée la Plasticotek, une matériauthèque de plastique et espace de médiation, à côté de l’exposition permanente de the Plastic Collection. Aussi, il y la question de la conservation qui se pose et dans laquelle mes collègues s’investissent pleinement. Présenté de manière triviale, il est de nos jours plus facile de conserver une momie égyptienne qu’un plastique des années 50 qui a été voué à l’obsolescence dès le stade de sa création !
Quel est le regard des jeunes publics sur une collection comme la vôtre ?
Il y a un vrai intérêt pour le design quand il est saisi comme objet du quotidien, ce qui a fait l’histoire culturelle des objets qui nous entourent, en particulier chez certains à travers la notion du « vintage ». C’est un mot que l’on n’utilise pas au sein du musée, mais fréquemment utilisé par les publics. Un terme qui en dit long sur le dialogue intergénérationnel que le design peut provoquer. Souvent, j’aime bien me balader dans les salles d’exposition pour écouter et entendre ce que nos visiteurs disent… surtout dans la partie consacrée aux années pop, vers les années 60. L’autre jour, j’ai été amusé d’entendre une élève de primaire judicieusement constater qu’autrefois un téléphone, une télévision et un baladeur étaient des objets à part entière, alors qu’aujourd’hui « tout ça tient dans un smartphone ! ».
Que pensez-vous qu’ils retiennent de leur visite ?
Qu’une fonction et une ergonomie associés à une esthétique font une pièce de design. Que la mémoire collective des objets qui nous entourent y joue aussi un rôle. L’innovation ou le changement social ou culturel que porte un design leur importe aussi. Et qu’à l’aube d’une période charnière alors que la question numérique prend une part grandissante, un musée de design est autant une vitrine de ce qui a été qu’un lieu d’expérimentation du notre quotidien et notre futur.