Depuis une quinzaine d’années, l’Atelier de confection Mulieris installé dans la commune d’Anderlecht à Bruxelles s’engage dans un programme de réinsertion professionnelle placé sous le signe de l’excellence. Rencontre avec la coordinatrice générale de ce projet, Rachida Lazrak, acteur clé dans le paysage actuel de la mode belge.
Parlez-nous du lancement de cet atelier ?
Entre 2000 et 2006, dans le cadre des contrats de quartiers bruxellois, plusieurs projets à caractère social ont été initiés à Anderlecht, dont celui de créer un atelier de confection qui s’inscrirait dans un programme de réinsertion professionnelle. En 2006, Atelier Mulieris a vu le jour sous la houlette de Martine Henrard dont j’étais à l’époque la collaboratrice. Après quelques revers de fortune et une faillite, nous avons réussi à remettre les compteurs à zéro pour repartir sur de meilleures bases. Je suis désormais le chef d’orchestre de l’atelier. Au départ, il ne devait s’agir que de l’annexe d’un salon de thé, un lieu d’entraide et de réseautage. Aujourd’hui, l’atelier a pris toute son ampleur.
Ce qui frappe, c’est le contraste entre la fragilité sociale de certains de vos stagiaires et l’excellence de vos prestations.Expliquez-nous.
Nous travaillons avec une quinzaine de couturiers que nous sélectionnons sur base de leurs connaissances techniques. Ces personnes qui nous sont envoyés par les 10 CPAS (Centres publics d’action sociale) bruxellois avec lesquels nous collaborons sont le plus souvent primo-arrivants ou en situation précaire. Notre atelier compte des stagiaires de tous âges et d’environ 10 nationalités différentes. Nous leur demandons de maîtriser les bases, donc de savoir manier une machine. Le reste, ils l’apprennent en travaillant. Au bout de deux mois d’apprentissage, nous estimons qu’ils doivent pouvoir assurer les commandes que nous traitons à l’atelier. Certains arrivent toutefois avec une grande expérience acquise dans leur pays d’origine. En termes de savoir-faire, les jeunes issus des écoles de mode belge ne leur arrivent pas à la cheville
Certaines commandes émanent de designers belges en vue. Comment sont-ils venus jusqu’à vous ?
En 2009, quand j’ai repris la coordination générale de l’atelier, j’ai passé six mois dans le quartier Dansaert pour comprendre comment fonctionnait le secteur. La toute première créatrice qui nous a fait confiance, c’est Conni Kaminski. Coralie Barbier, l’épouse de Stromae, nous a également contactés dans le cadre d’un projet pour une marque belge avec laquelle elle collaborait. Pour les costumes des clips de Stromae et ses tenues de scène, elle a ensuite tout naturellement fait appel à nous. Et quand Mosaert, leur projet mode, a vu le jour, elle nous a confié la production des vêtements du label.
D’autres designers et artistes reconnus sont passées par l’atelier : Christian Wijnants, Ariane Lespire, Loïc Nottet, mais aussi le rappeur Nekfeu dans le cadre de sa collaboration avec le label belge Bostem. Pour l’atelier, ce genre de buzz est bon à prendre, non ?
Pour nos couturiers, des Turcs, des Iraniens ou des Afghans, toutes ces références n’ont pas d’importance. Notre priorité absolue reste toutefois de réinsérer ces personnes compétentes dans le monde professionnel. Quand la Maison Natan me contacte pour que je leur recommande des couturiers pour leur propre atelier, c’est beaucoup plus concret. Cela dit, nous sommes ravis de réaliser les tenues pour le clip ou la tournée d’un artiste belge ou étranger.
Vous collaborez aussi avec Ester Manas, diplômée de La Cambre Mode(s) et finaliste du festival de Hyères en 2018.
Là encore, ce qui me semble intéressant dans cette collaboration, c’est de voir de quelle manière nous pouvons grandir ensemble. Les premières commandes se limitaient à quelques pièces. Pour nous, ce n’est pas un problème. Nous tenons compte de la réalité économique des marques qui se lancent. Aujourd’hui, Ester Manas fait produire de plus grandes quantités et nous en sommes ravis. La plupart des pièces de cette styliste sont très techniques. C’est l’occasion pour nos stagiaires de repousser leurs limites.
Vous profitez, on l’imagine, de l’engouement pour les marques belges, mais aussi pour le savoir-faire local.
Plusieurs créateurs nous ont confié leur difficulté, depuis le début de la pandémie, à faire produire leurs collections dans des pays même assez proches, comme le Portugal. La proximité est plus que jamais une opportunité. Mais loin de nous l’idée d’échafauder des stratégies sur le long terme. Dans le secteur de la confection, a fortiori, il est difficile de faire des prédictions. Qu’en sera-t-il dans un ou deux ans ? C’est difficile à dire. Notre volonté est donc de poursuivre notre travail dans l’ombre et de conduire nos stagiaires là où nous devons les mener. Certains montent leur propre atelier et nous en sommes fiers. Et si, à travers les designers, qui s’exportent et habillent les stars, nous exportons notre savoir-faire, c’est encore mieux. »