Ariane et Lara van Dievoet sont sœurs et fortes de parcours au contact des makers et des entrepreneurs. Installées sous le nom de Augusta Gallery, au cœur du Sablon bruxellois, leur galerie fait la promotion de nouvelles pousses, comme le duo français installé à Bruxelles La Gadoue (Eloïse Maës et Audrey Werthle), tout comme d’incontournables belges (à l’instar de Lionel Jadot). Des designs d’écoconception et surtout de convictions. Un discours à part dans la niche du design de collection.
Quels sont vos parcours respectifs ?
Ariane van Dievoet : J’ai fait des études d’architecture d’intérieur à Londres, au Chelsea Design College of Art and Design. J’y ai pu expérimenter la 3D ainsi que la fabrication, de manière adaptative, ou comment rénover des bâtiments. Puis j’ai fait un master aux États-Unis, à la Rhode Island School of Design, où j’ai notamment pris des cours de bijouterie et de menuiserie. J’ai passé pas mal de temps en ateliers, au plus près de la matière. J’ai ensuite travaillé chez Bower Studios, à Brooklyn, avant de me lancer en tant que designer sous le nom de Avandi et de postuler pour exposer au SaloneSatellite à Milan. C’était en 2014 et j’ai remporté le troisième prix pour mon projet Steptool, une échelle de cuisine. En 2018, je suis revenue m’installer à Bruxelles. Tout en continuant, j’ai travaillé pour des bureaux d’architecture d’intérieur. J’ai alors pris conscience qu’il y avait énormément de chutes de matériaux (environ 10 % de ce qui est commandé en plus pour un projet, pour pallier aux manques éventuels, est souvent jeté). À partir de ce moment, ma dynamique de travail a évolué et je me suis spécialisée en design durable à partir de techniques numériques.
Lara van Dievoet : Mon parcours est à la fois académique et journalistique. En tant que journaliste, j’ai couvert pendant sept ans des informations et profils liés à l’entrepreneuriat, tout en réalisant un doctorat en information et communication. Aujourd’hui, j’enseigne les relations presse et les formats d’information web à l’UC Louvain et l’Université de Lille en parallèle de l’aventure Augusta.
Comment l’idée de la galerie Augusta est-elle née ?
AVD : Nous avions envie de travailler ensemble depuis un certain temps mais ce qui nous a décidées, c’est la perspective d’allier nos compétences, le design et la communication, pour exposer des designers qui ont une approche durable.
LVD : Le point de départ de notre réflexion a été le lieu, une ancienne galerie d’art située au rez-de-chaussée d’une maison qui appartenait à nos grands-parents. C’est dans ce lieu que nous avons commencé à imaginer, début 2022, ce qui allait devenir Augusta.
AVD : Avant de nous lancer, nous avons constaté qu’il manquait un lieu d’exposition commercial dans lequel les questions de durabilité en design seraient mises en lumière. Cette thématique commençait à émerger mais plutôt dans des expositions et des magazines. La première étape fut donc la rénovation de la galerie, avec un maximum de réemploi et des matériaux bio-sourcés. L’endroit n’avait pas bougé depuis 40 ans.
Ariane, comment avez-vous poursuivi sur la voie de la durabilité ?
AVD : Lors de mon retour à Bruxelles, j’ai d’abord trouvé un atelier partagé, la Micro Factory, qui me permettait de fabriquer des pièces à partir des chutes de matériaux. Ensuite, ma rencontre avec le ferronnier d’art Didier Henry a été à la fois professionnelle et amicale et m’a permis de maîtriser un matériau (le laiton) et d’embrasser par la même occasion la notion d’imperfection en design. Le résultat de cette collaboration avec Didier, une ligne d’œuvres non fonctionnelles intitulée « Fusions » (des pièces uniques) qui est maintenant exposée par la galerie Augusta. Un des atouts de travailler avec les chutes de matériaux est de pouvoir découvrir des savoir-faire et de manier des matières qu’on ne maîtrise pas forcément. Il faut composer avec les matériaux existants pour trouver des solutions.
La durabilité des pièces que vous présentez au sein de Augusta est-il un élément déclencheur pour les premières ventes de la galerie ?
LVD: Le design à vocation durable n’est pas forcément perceptible du premier coup d’œil. Nous proposons des pièces haut de gamme qui sont réalisées avec une approche durable. C’est ce qui nous intéresse et ce qui semble intéresser nos premiers clients.
AVD: Oui, on sent que l’approche est double : notre public est séduit par l’esthétique des pièces tout en étant très intéressé par les techniques de production. Cela est aussi vrai du côté des créateurs : comme enseignante en design, j’observe que la durabilité est une question qui touche les jeunes designers.
Pourquoi avoir baptisé la galerie Augusta ?
AVD : C’est le prénom de notre arrière-grand-mère, qui était galeriste dans les années 1920. Elle avait une galerie rue de la Loi ! Aujourd’hui une artère du quartier Européen.
Augusta a ouvert en 2023 avec une exposition de groupe. Votre approche est-elle avant-tout collective ?
LVD : Il est vrai que notre première exposition « States of Matter » a rassemblé une variété de créateurs et créatrices qui utilisent des matériaux biosourcés, réutilisent la matière ou proposent des solutions que l’on considère innovantes ou inscrites dans une démarche durable, et nous continuons à exposer certains de ces designers, comme La Gadoue et Roxane Lahidji. Mais nous alternons : notre seconde exposition, « Chromatic Array », était consacrée entièrement à l’œuvre de Frédérique Hoet-Segers, née en 1929 et qui est décédée en 2022. Nous souhaitions mettre en avant sa carrière, son travail unique à partir de chutes de cuir et sa collaboration avec Delvaux.
AVD : Ce qui importe pour nous est de faire rencontrer des publics et des designers, toutes générations confondues. Un public qui peut avoir les moyens de soutenir ces designers et aussi un public qui est visuellement stimulé au contact des leurs créations. Ce qu’on met en avant est tant la recherche derrière les pièces que nous exposons que le produit fini. Et l’on se rend compte que les publics sont agréablement surpris, et se posent des questions, cherchent à savoir comment c’est fait…
Ceci semble passer par votre choix d’un design local…
LVD : Oui, pour l’instant ce sont tous des Belges ou des personnes basées en Belgique, dont plusieurs Françaises. La provenance européenne est fondamentale pour nous dans le cadre de ce projet.
AVD : C’est lié également à la manière dont nous travaillons avec les designers. Qu’ils nous contactent via Instagram ou qu’ils viennent nous voir directement (ce qui fut le cas lors de notre première participation à la foire Collectible cette année), il nous importe toujours de les rencontrer à leur atelier ou dans leur site de production pour comprendre leur processus de création et toucher ce qu’ils font.
Mettez-vous en avant la belgitude ?
AVD : On remarque qu’il y a une perception et une attente par rapport à ce qu’est le design belge aujourd’hui, surtout auprès des collectionneurs étrangers. LVD : Le design belge a bonne presse et est bien reconnu sur la scène internationale, jusqu’en Amérique du Nord, ce qui nous aide car cette cote fait que tout le monde regarde ce qu’il se passe en Belgique, et plus spécifiquement à Bruxelles.
Quel accompagnement proposez-vous aux designers que vous montrez ?
AVD : Nous dialoguons en amont pour la sélection des pièces, des matériaux et des couleurs mais nous leur laissons une grande liberté quant à leurs processus. Nos collaborations sont basées sur la confiance mutuelle car la plupart des pièces sont créées pour la galerie. Nous travaillons avec les designers pendant plusieurs mois avant chaque exposition : nous visitons leurs ateliers et les rencontrons régulièrement
LVD : L’important pour nous aussi est de pouvoir prendre de la hauteur sur ce qu’on expose. Il faut bien comprendre et sélectionner pour bien montrer et soutenir. L’accent sera-t-il mis sur un matériau ? Un type de fabrication ? Un rendu final ? Ou bien le corpus d’œuvres précurseur d’une artiste (comme ce fut le cas avec l’exposition sur Frédérique Hoet-Segers) ? Nous décidons de ces points ensemble avant d’avancer sur un concept d’exposition. Le rendu final doit être à la fois haut de gamme et pouvoir parler à toutes sortes de publics.
Quels techniques ou modes de productions souhaiteriez-vous mettre en avant dans vos prochaines expositions ?
AVD : Notre exposition actuelle (« From the ground up », jusqu’au 15 juin) présente des œuvres de designers qui partagent une approche durable et orientée vers la recherche et l’utilisation de matériaux de récupération locaux : terre d’excavation, fils recyclés et bois local, y compris les parties du bois traditionnellement mises de côté et même les copeaux de bois. Nous montrons six pièces de Laure Kasiers, qui travaille depuis 16 ans le lin et la laine pour créer des tapis aux motifs organiques. Cette designer textile bruxelloise a créé son propre processus en détournant des techniques de la passementerie. Le bois de la coopérative Sonian qui valorise le bois local a également une place de choix puisque nous exposons des pièces en hêtre de la forêt de Soignes dessinées par différents designers. Un prototype de chaise en saules vivants imaginée par le duo anversois Studio PART vient compléter la sélection. C’est un projet étonnant, baptisé Tenir, dans lequel les arbres sont placés dans une forme en aluminium qui sera retirée après plusieurs années pour ne laisser que des arbres qui auront poussé sous forme de banc.
Comment comptez-vous faire vivre la galerie en dehors des shows ?
LVD : Nous allons bientôt développer le volet événementiel au sein de la galerie, comme accueillir des événements d’entreprise et des dîners de collectionneurs.