En 2021, l’industrie de la mode ne peut ignorer ni les déchets textiles ni l’impact négatif sur nos écosystèmes de la production de vêtements. On estime que 92 millions de tonnes de déchets textiles sont produites chaque année, et la fast-fashion a manifestement aggravé les choses. Cédric Vanhoeck, fondateur et directeur exécutif belge de RESORTECS, en est bien conscient et c’est pourquoi il est résolument tourné vers la recherche de solutions.
En utilisant les dernières technologies disponibles, RESORTECS a créé de nouveaux fils à coudre et des rivets démontables qui fondent à haute température. Il ne reste alors que le tissu. L’équipe a également développé une installation semblable à un four pour le désassemblage de textiles, permettant aux entreprises de traiter efficacement plusieurs tonnes de vêtements par jour.
Cet ancien diplômé en stylisme, qui a lancé sa propre société en 2017, sait pertinemment que le temps est compté lorsqu’il s’agit d’optimiser les processus de surcyclage. Il s’est armé de patience, et de savoir-faire, pour développer des techniques efficaces de désassemblage et de recyclage de produits textiles, car l’enjeu est non seulement environnemental, mais aussi éducatif. Nous avons rencontré Cédric Vanhoeck pour discuter des outils conçus par RESORTECS, de la nécessité de réunir des fonds annuellement, et des raisons pour lesquelles le luxe pourrait ne pas être compatible avec un modèle circulaire.
Pourriez-vous résumer votre parcours d’entrepreneur ?
Je suis diplômé en Ingénierie du design industriel et en Stylisme. L’économie circulaire était déjà d’actualité il y a 10 ans. Je suis parti étudier à la Domus Academy de Milan en vue d’obtenir un Master en marketing et image de marque, et je me suis rendu compte que l’image de marque n’était vraiment pas mon fort. Je me suis alors retrouvé à étudier le design de mode à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers.
Jusqu’où êtes-vous allé dans vos études ?
Je n’ai fait que deux ans. Mon expérience à l’Académie n’a pas été très positive, parce que je ne comprenais pas l’attitude de certains professeurs. Je les ai trouvés assez manipulateurs d’un point de vue psychologique et j’ai parfois eu l’impression qu’il s’agissait d’un énorme jeu de pouvoir.
J’imagine que cela vous a très tôt rendu critique envers ce secteur.
L’industrie de la mode peut être traumatisante et abusive. Il faut parfois des années aux jeunes diplômés pour se remettre de leurs études. En ce qui me concerne, j’ai lancé RESORTECS immédiatement après avoir quitté l’académie.
Je suppose qu’il est indispensable de disposer d’un financement pour développer une telle entreprise.
Nous avons réussi à réunir 1 million l’année dernière et je suis en train de préparer la nouvelle levée de fonds. Comme vous pouvez l’imaginer, ce n’est pas la partie la plus palpitante de mes activités…
Dites-moi concrètement ce que vous avez été capable de produire jusqu’à présent.
Nous avons trois fils à coudre adaptés à trois températures différentes et nous avons développé quatre couleurs standard de fil : bleu, noir, blanc et une nuance de doré. Ces fils se décomposent à certaines températures, comme 200, 170 et 150 degrés Celsius. C’est la partie assemblage. Ensuite, nous avons développé des boutons à rivet, qui se démontent également à haute température, mais n’ont pas encore été commercialisés. Nous espérons pouvoir les finaliser avant la fin de l’année et les présenter officiellement en 2022. Ensuite, nous avons l’équipement de désassemblage en lui-même, qui consiste en des structures de four massives, et nous travaillons encore sur de petits outils de réparation, même si le premier lot d’équipement est déjà arrivé.
De quoi est capable cet équipement ?
Il peut chauffer et désassembler environ 1 000 pièces de vêtement par jour.
Avez-vous déjà reçu des commandes ?
Nous n’avons pas de commandes à proprement parler, mais plutôt des lettres d’intention de deux ou trois entreprises de recyclage intéressées par RESORTECS, et je suis convaincu que nous collaborerons bientôt. L’idée est de pouvoir le faire à grande échelle et avec la plus grande efficacité possible. L’efficacité n’est que de 15 % aujourd’hui, car le traitement implique du travail manuel. Nous souhaiterions totalement mécaniser l’ensemble du processus afin de le rendre plus réalisable d’un point de vue technique ainsi que financier.
Qui devons-nous tenir pour responsable de la quantité actuelle de vêtements mis sur le marché et jetés chaque année ?
Nous avons tendance à jeter la pierre sur les consommateurs et les marques, mais de nombreuses entreprises de mode ont choisi un modèle spécifique de prêt-à-porter dont la principale conséquence est la surproduction. Je pense que les entreprises détiennent la clé du problème et ont le pouvoir de changer notre secteur. Les acheteurs veulent seulement être bien habillés à moindre coût. Vous pouvez critiquer cette attitude des clients, mais ce n’est pas une excuse pour détruire le monde. Nous devons commencer à utiliser les matériaux de manière beaucoup plus responsable.
Travaillant dans la mode, je constate d’énormes contradictions entre la durabilité et ce secteur. Malgré tout ce que l’on sait sur les déchets textiles, les créateurs continuent à lancer de nouvelles marques. Dans le fond, tout nouveau projet créatif n’est-il pas un gaspillage de ressources ?
C’est une très bonne question. C’est précisément pour résoudre ce problème que je me suis engagé dans la circularité, mais il est vrai que l’acte créatif en lui-même est rarement circulaire et implique du gaspillage. Prenez les grandes marques de mode haut de gamme par exemple.
Qu’en est-il des conglomérats de l’industrie du luxe ?
Je ne pense pas que le luxe soit compatible avec la circularité. Il est possible d’avoir une réflexion au sujet de solutions de réparation et de remise en état, que les nouvelles technologies permettent d’optimiser, mais tout le modèle du luxe est basé sur la propriété.
Pourtant, le luxe n’est-il pas ce qui peut être réparé ou démantelé ? Comme avec l’industrie de la fourrure, et la manière dont les vêtements peuvent être retravaillés et transmis d’une génération à l’autre.
C’est vrai, mais le problème est que le luxe ne peut emprunter que des bribes du processus de circularité, puisqu’il sera impossible de copier ou de commercialiser en masse leurs pièces. C’est la raison pour laquelle ce secteur ne sera jamais complètement circulaire, et pourquoi nous n’avons jamais ciblé ces marques. Et en fin de compte, ce n’est pas non plus le secteur du luxe qui produit des millions de vêtements chaque année.