La dernière édition des Belgian Fashion Awards – et Fashion Talks- qui s’est déroulée à Anvers le 30 novembre dernier a illustré à merveille quelques-unes des polémiques venues troubler le monde de la mode. Comment concilier la durabilité et le processus de création ? Faut-il récompenser l’imagination, la fantaisie ou la conscience sociale ? Et la mode des créateurs peut-elle être vraiment démocratique, lorsqu’elle affiche des prix élevés ? Philippe Pourhashemi nous livre son analyse.
Les designers belges sont un peu atypiques dans le paysage de la mode, principalement parce cherchent à faire les choses différemment et à remettre en question les règles et les conventions établies. Certains d’entre eux choisissent d’oublier le format de défilé et de développer leur marque sans faire beaucoup de marketing. D’autres défient les limites du secteur en utilisant des silhouettes plus corpulentes, ou en faisant appel à des personnes qui ne sont pas mannequins, pour leur défilés. De même, la plupart des créateurs belges ne sont pas annonceurs dans la presse, contrairement à leurs collègues italiens, allemands ou français.
En fin de compte, ce sont le talent, l’originalité, l’intégrité, la cohérence et le travail acharné qui ont été célébrés à Anvers, et bon nombre des personnes récompensées sont là depuis des décennies, à commencer par Anthony Vaccarello, qui a remporté le prix du Designer of the Year pour son travail exceptionnel et inspirant chez Saint Laurent.
Jan-Jan Van Essche a amplement mérité le Prix du Jury, car au fil du temps il est resté fidèle à ses principes et a évité de faire du bruit inutilement, choisissant plutôt de se concentrer sur son art et sur des pièces intemporelles.
Il appartient en fait à la même génération que les artistes Laetitia Bica, qui a reçu le prix Changemaker of the Year, et Frederik Heyman, récompensé du prix Professional of the Year. Ces deux artistes ont choisi les arts visuels pour exprimer leur vision profondément personnelle – et inhabituelle – de la beauté, tout en restant fidèles à leurs valeurs et à leur esthétique.
Les Belges bénéficient également d’une certaine autonomie par rapport aux grandes capitales de la mode, ce qui leur permet de développer librement leur propre créativité sans être “pollués” par le monde extérieur. Que ce soit Igor Dieryck, lauréat du prix Emerging Talent of the Year, ou Orta – la marque de l’année saluée par le public belge – ou encore Sarah Levy, qui a reçu le prix Accessory Designer of the Year, et Leslie N, qui s’est vu décerner le prix Most Promising Graduate, l’individualité et l’originalité étaient au cœur des priorités du jury, dirigé par le Parisien Serge Carreira, qui est responsable des marques émergentes à la Fédération de la Haute Couture et de la Mode.
2023 a certainement été une année tumultueuse pour la mode, qui s’est avérée difficile pour les détaillants, les couturiers et bien d’autres acteurs clés du secteur. Si la mode est – et sera toujours – le reflet de notre époque, faut-il lui demander de s’allier à la politique et de résoudre les problèmes de notre société ? Pas vraiment. Certes, la mode peut contribuer au changement culturel, mais il serait bon de garder à l’esprit que le secteur de la mode reste une industrie commerciale qui repose sur le principe du désir, ce qui signifie que la mode est dénuée de rationalisme ou de logique.
Nous avons tous une garde-robe bien remplie, mais pour autant, la nouveauté et les élans de créativité géniale de certains couturiers talentueux nous font rêver au point de nous transporter dans leur univers bien à eux. Le pouvoir de la mode est précisément de transcender la réalité et d’élever notre âme grâce à l’esthétique. Je ne peux qu’espérer que les futures générations de créateurs belges mettront cette créativité au cœur de leur pratique.