Daniel Henry: les plaisirs de la recherche textile

Daniel Henry: les plaisirs de la recherche textile

Categorie: Interviews
Date de publication:

Si beaucoup d’entre nous reconnaissent l’importance des textiles dans le stylisme innovant, rares sont ceux qui comprennent réellement ce que signifie être créateur textile à plein temps. En réalité, le design textile va bien au-delà de simplement proposer des tissus aux clients ou de collaborer avec des créateurs de mode et d’autres entreprises sur des projets spécifiques. Il s’agit d’un domaine d’exploration sans limites, qui exige une dévotion absolue et une patience à toute épreuve, comme en témoigne le travail fascinant de Daniel Henry, créateur textile belge.

Maison Margiela, Spring-Summer 2024, Couture, Paris, France

Diplômé de La Cambre à Bruxelles, Daniel était déjà actif dans l’industrie textile lorsqu’il était encore étudiant. Éloquent, discret et critique, il se définit comme un minimaliste acharné dans le domaine du textile, ce qui confère à son travail une singularité précieuse dans un secteur où la commercialisation prend de plus en plus d’ampleur. Récemment, le talent et l’expertise de Daniel Henry ont été mis en lumière lors du dernier défilé Haute Couture de la Maison Margiela, orchestré par le créateur britannique John Galliano. Cet inoubliable défilé a démontré le pouvoir des vêtements d’exception à captiver les esprits et la manière dont des textiles remarquables peuvent sublimer la vision d’un créateur.

Daniel Henry & Michiel Blanchart, BFA 2024 (c) Jérôme Van Belle, WBI

Daniel Henry a également obtenu le prix « Professional of the Year » lors des Belgian Fashion Awards, qui se sont tenus à Bruxelles fin novembre. Dans un domaine à la fois compétitif et hautement spécialisé, cette récompense est amplement méritée. Nous avons rencontré ce talentueux créateur pour discuter de son parcours atypique, de sa collaboration avec l’équipe de la Maison Margiela et de la raison pour laquelle il préfère éviter l’expression « art textile ».

Félicitations pour votre récompense, Daniel. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre parcours en tant que créateur textile ?

Quand j’ai commencé mes études de Fashion Design à La Cambre Mode[s] à Bruxelles, j’ai compris dès la fin de ma première année que je devais me tourner vers le Design Textile et m’y consacrer pleinement. Dès ma 4e année, j’ai eu la chance de travailler à temps partiel comme chercheur textile dans une entreprise, ce qui m’a permis de faire mes premiers pas dans l’industrie. En parallèle, j’ai lancé ma propre activité en tant qu’indépendant, je travaillais dans le grenier de mes parents.

Votre domaine est extrêmement spécialisé. Comment trouvez-vous de nouveaux clients dans le secteur de la mode ?

Une grande partie se fait par le bouche-à-oreille. Lorsque vous avez travaillé pour certains créateurs ou de célèbres maisons, les professionnels du milieu commencent à entendre parler de vous et de votre travail. Je connais certains collaborateurs depuis des décennies et je travaille toujours avec eux aujourd’hui.

Quelles ont été les premières marques de haute couture avec lesquelles vous avez collaboré ?

J’ai d’abord collaboré avec Christian Lacroix. Ensuite, j’ai eu l’occasion de travailler avec Olivier Theyskens lorsqu’il concevait des collections pour Rochas et Nina Ricci.

C’est marrant, car je vendais ses collections pour Rochas dans leur showroom parisien. Olivier est incroyablement talentueux, et je me souviens que ses défilés pour Rochas étaient spectaculaires.

J’ai également collaboré avec de jeunes créateurs, notamment Sébastien Meunier, qui a lancé sa propre marque et avait besoin de conseils sur les textiles.

Si l’on compare la mode de créateur actuelle à celle d’il y a 20, voire 30 ans, elle semble beaucoup moins audacieuse sur le plan créatif, mais aussi bien plus axée sur les ventes et le marketing. Observez-vous le même appauvrissement dans votre secteur ?

Oui, je partage cette opinion : la qualité des fibres a clairement diminué par rapport à ce qu’elle était. Cela s’explique en partie par le rythme frénétique imposé dans le secteur de la mode, et par son accélération générale. En raison des collections de plus en plus nombreuses, les créateurs disposent de moins en moins de temps pour innover.

Maison Margiela, Spring-Summer 2024, Couture, Paris, France
Avec Rochas, vous travailliez déjà dans ce qu’on appelait à l’époque la « demi-couture », une approche très avancée, et pourtant artisanale, de la création de vêtements de luxe. Comment êtes-vous passé à la Haute Couture et à la Maison Margiela ?

En fait, je connaissais quelqu’un qui avait travaillait au sein du studio dirigé par John Galliano chez Margiela. Avant cela, j’avais aussi travaillé pour Raf Simons lorsqu’il était chez Dior. Pour Margiela, j’ai eu l’opportunité de faire de la recherche textile pendant environ 15 mois, ce qui était à la fois passionnant et très plaisant. Cela montrait clairement que la recherche textile nécessite du temps, une notion que l’industrie de la mode semble malheureusement ignorer. J’admire évidemment la connaissance approfondie de la mode de John Galliano et le fait que son imagination n’a aucune limite. Je travaillais à partir d’une série de visuels envoyés par son équipe, une méthode plutôt rare. Mon rôle consistait donc à traduire ces références en recherches textiles. J’ai proposé plusieurs techniques, et ils en ont finalement retenu une qui a été utilisée pour certaines vestes du défilé.

Combien de temps ce développement a-t-il pris ?

Environ 9 mois. Cinq modèles ont été présentés lors du défilé, mais il a fallu produire 40 vestes avant que Galliano obtienne exactement ce qu’il souhaitait. C’est vraiment comme travailler dans un laboratoire, et de nombreuses techniques servent ensuite d’inspiration pour le prêt-à-porter et les lignes plus commerciales.

Daniel Henry, Velum magneticus. Wedding room, Town hall of Brussels (c) Victor Pattyn
Le secteur de l’art textile s’est considérablement développé au cours des dernières décennies. Qu’en pensez-vous ?

Tout d’abord, je n’aime pas le terme « art textile ». Selon moi, les soi-disant artistes textiles peuvent aborder ce domaine avec beaucoup de passion, mais ils n’ont pas nécessairement une vision claire. Dans mon travail artistique, je ne veux pas mettre en avant les aspects techniques des pièces, mais plutôt mon approche conceptuelle et narrative. Pour moi, il s’agit d’expression créative, pas de technique. C’est pourquoi je ne souhaite pas être considéré comme « artiste textile », même si je participe à ce type d’expositions.

Daniel Henry, Velum Magneticus (c) Victor Pattyn
Comment pensez-vous que l’industrie de la mode pourrait améliorer sa relation avec le design textile ?

Dans les écoles de mode, les étudiants sont formés à imposer leurs idées aux créateurs textiles, au détriment d’une collaboration enrichissante. Miser sur une collaboration plus harmonieuse empreinte d’humilité pourrait grandement les aider.

Interview par

Philippe Pourhashemi

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