A mi-chemin entre art et artisanat, l’artiste textile basée à Bruxelles marche sur un fil. Un pas dans le tissage, un autre dans la performance, elle évolue entre les deux avec une grâce infinie. Rencontre avec une jeune femme à l’actualité chargée.
C’est votre passion pour le geste artistique qui vous a conduite vers l’art textile ?
Ce qui m’intéresse dans cette pratique, c’est avant tout le rapport au fond et à la forme. Dans la peinture, le canevas est envisagé comme une base. Dans mon travail, c’est l’inverse. Je peins sur un tissu que je découpe en bandelettes et que je retisse ensuite pour créer l’œuvre finale. J’inverse donc le processus classique en redonnant toute son importance à la surface. Dans le cadre de ma réflexion d’artiste, je suis très influencée par mes lectures philosophiques, dont celles de Paul Valéry. Pour lui, l’atelier de création est une œuvre en soi. Dans ma vision des choses, cette pensée est évidemment porteuse de sens
De manière générale, vous parlez peu de l’école où vous vous êtes formée. Un choix délibéré ?
Jusqu’il y a deux semaines, je vous aurais dit « oui ». Entre-temps, j’ai entendu une réflexion du philosophe Emanuele Coccia sur l’origine de sa propre pratique et le lien étroit qui le lie à la botanique, plutôt qu’aux matières philosophiques pures. Tout à coup, j’ai compris que si mon cursus – j’ai étudié le design textile à l’académie des Beaux-Arts de Bruxelles – ne me définit pas en tant qu’artiste, il constitue néanmoins la raison d’être de mon travail. En Belgique, nous avons la chance de pouvoir suivre des formations ancrées dans la pratique. Avec le temps, j’imagine que je vais plus facilement accepter que des choses que je croyais opposées – comme l’art et le design – puissent cohabiter.
Quand vous collaborez avec une danseuse chinoise, comme c’est le cas dans l’une de vos performances passées, il est question de rythme et de respiration. En dévoilant ainsi l’envers du décor de votre pratique, quel message souhaitez-vous véhiculer ?
J’ai cherché à traduire deux formes de souffle : un souffle qu’on retrouve dans la pensée orientale, d’une part ; un souffle qui nous traverse et nous englobe totalement, mais aussi un souffle créateur qui fait directement référence au geste. C’est l’entrecroisement de ces deux souffles qui caractérisait cette performance.
Historiquement, tant dans les grands mythes de l’histoire, que dans la pratique de votre art, le processus de fabrication d’une tapisserie est aussi important que le résultat. Dans notre monde qui tourne à toute vitesse, ça semble un peu fou ?
J’ai du mal à répondre à cette question sans en poser une autre. Pourquoi avons-nous perdu notre regard sur ces pratiques ancestrales alors qu’elles font partie intégrante de la construction du monde ?
En quoi le concept de performance a-t-il enrichi votre pratique ? Pourriez-vous imaginer l’un sans l’autre ?
Pour moi, le tissage est en lien direct avec notre rapport à l’espace. Qu’il s’agisse de cloisons qui séparent une pièce ou de tentes – je pense notamment au concept de tabernacles dans le désert –, le textile crée des espaces qui nous protègent. Pour moi, le tissage est une pratique, ainsi qu’une manière de délimiter les surfaces et de répondre au corps. Dans les performances, le corps devient décor. Quand j’ai amorcé ce travail, je voulais donner une présence aux œuvres au travers du jeu scénique, mais c’est finalement une idée contraire qui s’est imposée à moi. J’ai réalisé que même sans ma présence, les œuvres avaient une permanence. D’abord parce qu’elles se prolongent dans le regard du spectateur, mais aussi par leur structure-même. Les espaces vides dans le tissage parlent à ma place sans que j’aie forcément besoin d’être là pour exprimer ce fameux souffle.
Cette année, Le Botanique vous consacre une exposition personnelle. L’occasion de faire un premier bilan de votre travail depuis 6 ans ?
Quand je scénographie une exposition, ce qui m’intéresse, c’est de me confronter à l’espace. Cette année, j’enchaine d’ailleurs plusieurs expositions dans des lieux différents : La Maison des Arts de Schaerbeek, le Tamat à Tournai ou encore la Triennale d’art contemporain d’Ottignies-Louvain-La-Neuve en septembre prochain. Au fil des expositions, je gagne en confiance. Ma réflexion est continue et évolutive. Actuellement, je démarre une collaboration avec la galerie parisienne Maria Lund et, plus tard dans l’année, une autre avec la galerie Spazio Nobile à Bruxelles. Mais là, je n’en suis qu’aux prémices de ce type de collaborations artistiques.
Ces derniers mois, on a beaucoup questionné la notion de voyage. Dans votre pratique, c’est essentiel, non ?
Qu’elles soient proches ou lointaines, les résidences que j’ai eu la chance de faire ces dernières années, m’ont permis de prendre le temps. Elles sont aussi synonymes d’ouverture. Ma pratique est très solitaire. Le danger, quand on travaille de manière isolée, c’est de se cantonner à son propre regard. D’autant qu’il peut être particulièrement critique. Ces rendez-vous sont l’occasion de rencontrer des gens nouveaux et de se confronter à d’autres types d’environnements. Certaines pièces ont d’ailleurs un lien très fort avec le lieu où elles ont été créées. Sans cette double confrontation, le processus de création est plus difficile, voire impossible.