Par le biais, entre autres, de ses collaborations avec des designers belges, Kate Houben entend remettre le beau au centre des rituels funéraires. Fondée en 2020, son entreprise questionne, au moyen d’objets et de pratiques, certaines habitudes dans un secteur en quête de davantage d’humanité.
Racontez-nous la genèse de ce projet, somme toute, assez atypique ?
Il est le fruit d’une longue réflexion qui s’est amorcée, en 2015, lors du décès de ma mère. J’ai été frappée par le côté établi de certaines pratiques, mais aussi par l’absence d’humanité et l’obligation que j’avais de faire des choix qui ne me correspondaient pas du tout. J’ai réalisé à quel point, dans ce secteur, la notion de design était absente. Notamment parce que les professionnels du milieu funéraire ne jugeaient pas nécessaire d’y introduire la notion de beauté. Quand j’ai partagé mon ressenti, d’autres personnes semblaient partager mon point de vue. J’ai donc entamé des recherches à la fois historiques et philosophiques pour comprendre l’évolution des pratiques funéraires en occident. En 2019, pour pouvoir accéder à la profession, je me suis formée au métier d’entrepreneur de pompes funèbres.
Selon vous, parler de beauté funéraire reste un pari audacieux.
Avant de fonder Le Cerf Blanc, j’ai travaillé dans les arts graphiques et visuels. J’ai donc eu envie de m’associer à des artisans et designers qui n’étaient en rien liés au secteur funéraire. Parfois, le rapprochement n’est pas possible ou en tous cas pas immédiat. Dans ce contexte si particulier, il faut parfois dialoguer assez longtemps avant qu’un objet puisse naître.
Parlez-nous de ce long processus qui mène à la création de ces nouveaux objets funéraires.
Ces collaborations naissent d’un partage. Je commence toujours par échanger avec les designers sur mes convictions et les leurs. Je les écoute me parler de leurs expériences personnelles, de ce qui les touche et de ce qu’ils ont vécu à titre personnel. Pour moi, il est essentiel qu’ils soient véritablement portés par le projet. Viennent ensuite les recherches sur les objets en tant que tels. Nous travaillons avec des artisans belges. Chaque création est ensuite utilisée sur le terrain pour voir si elle remplit sa fonction et surtout ce qu’elle suscite comme réaction chez les gens. Je pense notamment à ce petit autel en bois dessiné par le designer Jean-François D’Or et fabriqué par un menuisier bruxellois. Le plus souvent, on constate un étonnement positif. Nos objets ont pour vocation de toucher les sens. Comme il s’agit de pièces uniques fabriquées en Belgique, elles ont un coût, mais je fais en sorte qu’ils restent abordables et donc accessibles au plus grand nombre, y compris aux personnes moins sensibles au design. Je pense en effet que la beauté réside d’abord et surtout dans la qualité des relations humaines. C’est ce que j’appelle la beauté des gestes.
Vos recherches tournent aussi autour de l’art textile.
J’ai notamment travaillé avec Éric Chevalier et Anne Masson sur un objet que je remets aux familles des défunts lorsque je les rencontre pour la première fois. Il s’agit d’un petit morceau de voile de laine inspiré des mouchoirs de deuil du 19ème siècle, auquel s’ajoutent des linceuls et le garnissage des cercueils. Quand nous développons de nouveaux objets ou que nous repensons certaines pratiques, je veille à ne pas bruler les étapes. Dans un secteur qui ne connait pas ou peu d’évolutions, l’idée est de susciter l’imagination et la créativité, pas de choquer. A la fin des funérailles, j’offre à chaque famille une broche fleur en tissu gaufré de l’artiste bruxelloise Dorothée Catry. Cet objet est né de ma réflexion autour des signes extérieurs de deuil. Il s’agit d’y revenir, mais en douceur. Quand certaines personnes bloquent face à un nouveau rituel ou objet, je leur propose de le laisser chez eux pour qu’ils l’utilisent, sans pression. Le plus souvent, ils dépassent rapidement leurs à priori.
Susciter l’imaginaire, c’est justement l’idée derrière le nom que vous avez donné à votre projet.
Le Cerf Blanc est un animal psychopompe qui, dans la culture celtique et chrétienne, guide les hommes vers l’au-delà. J’ai aussi choisi ce nom pour son caractère intergénérationnel. Les enfants sont souvent exclus des rites funéraires. J’ai voulu les réinviter dans ma réflexion. Et compte tenu du côté très mystérieux de ce nom, il suscite l’imaginaire. Or, je suis convaincue que la créativité et l’imagination ont des vertus thérapeutiques qui, lors d’un deuil, peuvent adoucir notre peine. Pour cette même raison, j’ai collaboré avec Margaux Baert, une artiste papetière qui a réfléchi avec moi à l’idée d’offrandes. Les fleurs à assembler qu’elle a imaginées permettent aux proches des défunts de fabriquer eux-mêmes un objet rituel ; un objet qui rassemble et console à la fois.