Julien Renault enfin consacré

Julien Renault
enfin consacré

Categorie: Interviews
Date de publication:

Il a pris le temps de devenir l’un des designers les plus respectés de sa génération. Travaillant discrètement, mais sûrement depuis 2009, ce Bruxellois (Français d’origine) a fait ses armes en Suisse ainsi qu’auprès de créateurs (comme les frères Bouroullec) pour qui le design produit rime avec une créativité sensible et s’est révélé au contact de ses pairs et de l’industrie.

Au quotidien, Julien axe sa pratique autour de l’objet et du meuble, mais aussi de l’architecture à portée scénographique et de la photographie. Une œuvre aujourd’hui labellisée du titre de Designer de l’année. Plus qu’une affaire d’image, le cru 2023 de cette récompense décernée par les magazines Le Vif Weekend et Knack Weekend est aussi un clin d’œil bienvenu à la portée du design industriel, qui a changé. Rencontre à son nouveau studio.

Julien Renault Objects Studio © Julien Renault
Le bâtiment où votre studio est situé est une réalisation de Louis Herman De Koninck…

Quand j’ai vu l’annonce, j’ai eu un moment de panique heureuse. De Koninck est un architecte qui mérite son statut d’icône en Belgique. Mais ce bâtiment avait été très mal entretenu. Je n’ai donc rien gardé de l’existant, à l’intérieur.

Autour de vous, il y a vos réalisations, d’autres de designers que vous admirez aussi, votre collection de livres et d’objets du quotidien…

Ici, je peux dessiner, peindre, faire des maquettes, aussi des photos. Pour le moment, j’y travaille seul. Comme je n’ai pas eu de bureau pendant deux ans et demi, j’ai dû me séparer de mes assistants. On travaillait donc à distance. Finalement, ce lieu va bientôt ressembler plus à une petite maison qu’un studio de création : il y a une cuisine, une salle de bains aussi… et une chambre.

Julien Renault Objects Studio © Julien Renault
Ce prix est l’occasion de vous rendre compte de votre chemin parcouru…

C’est la première fois que je vois la plupart de mes créations ensemble depuis la fondation de mon studio en 2015 (Julien Renault Objects, NDR). Le temps semble s’être arrêté. Bien sûr, j’ai déjà fait l’objet d’expositions, mais maintenant je peux enfin voir si mon travail est cohérent ! (Rires)

Comment présenteriez-vous votre parcours et votre style ? Votre pratique présente des esthétiques aux portées universelles.

C’est sans doute une qualité pour un designer comme moi ! Mon univers est très varié, car j’ai pu travailler avec beaucoup de personnes et entreprises différentes. Avant tout, c’est l’expérience par le travail qui me définit. Je crois donc être à la fois un designer et un photographe car, dans une partie de ma carrière, j’ai réalisé plus d’images que de produits et cela m’a ouvert les portes sur les fonctions de directeur artistique : mon statut actuel pour Kewlox, en tant que consultant. J’ai aussi participé à définir l’ADN de marques, comme celle d’Alain Berteau, Objekten.

PASTIS chairs for HAY © Julien Renault
En quoi l’image vous importe dans la conception d’un objet ou d’un meuble ?

L’image peut m’aider à véhiculer le message que je souhaite faire passer avec un produit. J’ai toujours adoré la photographie et je ne m’en suis jamais caché. Les professionnels du secteur du design industriel et de l’architecture l’ont remarqué. Certains ne m’ont demandé de faire que ça, sans doute parce qu’il n’y a pas beaucoup de photographes qui comprennent vraiment le design… Le rapport à l’observation est aussi très fort avec la photographie, intime presque, et mon design se nourrit certainement de cela.

L’enseignement en design a été déterminant pour vous.

Au lycée, j’évoluais dans une section technique ; en quelque sorte les prémices du design, que ce soit graphique ou d’objet. Plus tard, quand j’ai étudié à l’École d’art et de design de Reims (ESAD), c’est l’approche artistique du design et la culture de l’art en général qui m’ont nourri. Ceci a précisé mon identité en tant que créateur. Connaître l’origine des objets, savoir soigner une image…

C’est ce que vous partagez avec Ronan et Erwan Bouroullec, chez qui vous avez fait un stage (et pris des photos !)…

Oui, sans doute avons-nous ces points communs quant au respect de la nature des choses, tout en sachant créer de nouveaux produits, le tout avec une cohérence qui nous est propre. La logique fait partie du métier de designer, mais souvent, ce qui n’est pas dit, ou observé, compte beaucoup plus. À l’époque de mon stage chez les Bouroullec à Paris, il y avait beaucoup de shootings. J’étais confronté à beaucoup d’images en train de se faire. C’est quand je me suis installé en Suisse pour étudier à l’ECAL à Lausanne que l’artistique, le conceptuel et le concret ont fait sens pour moi.

Nine, milk carafe for Minor step
Cela fait déjà 15 ans que vous vous êtes lancés comme designer indépendant. Comment analysez-vous cela maintenant ?

Je ne crois pas être devenu un designer industriel pur et dur. Je ne vais pas faire de l’électroménager par exemple, bien que j’aimerais ce type de challenge. Ce qui est devenu important pour moi est que mes objets puissent être fabriqués, exister, être vendus. Aussi, je ne suis plus dans ma période d’autoproduction, mais je garde une sensibilité quant aux couleurs et aux formes telles que je les ai approchées durant ma période de formation.

Les archétypes vous intéressent-ils autant que les nouvelles formes ?

Oui, clairement. Quand je suis sorti de mes études, Jasper Morrison a sorti son manifeste de design, Super normal (2006). Je crois que l’on ne se rend pas assez compte à quel point son discours, centré sur et autour de la simplicité, de l’essentiel, juste avant la crise financière mondiale de 2007-2008, résonne pleinement maintenant. Pour notre génération, c’était le discours parfait. Alors, il y a encore des designers qui fondent leur pratique sur l’artisanat, l’autoproduction, des collaborations avec des galeries. Mais moi, je me suis clairement inscrit dans cette lignée du bel objet, aux contours un peu anonymes, de l’art de la tension à la forme, à la matière, à la qualité des matériaux. Un beau bol sans signature acheté à un euro ou chiné, c’est fantastique ! Ce type de démarche pousse à l’observation, prend plus de temps aussi. Mais la discrétion paye, car au final on peut créer de la beauté.

Rod, earthenware containers for Nine
Il y a une part de silence dans votre design, un silence qui parle.

On parle souvent d’atmosphères en design, voire en décoration, moins de ce qu’un objet peut procurer, de manière intime. Quel impact visuel ou de confort cela a-t-il quand on le pose ici ou là ? Si un design apporte quelque chose au quotidien, alors il vaut la peine d’y prêter attention.

Pensez-vous que votre identité créative soit « belge ». Que cela voudrait-il dire pour vous ?

Oui et non. C’est pourquoi je suis installé à Bruxelles, je pense. Cette ville a plusieurs identités et c’est ce qui est intéressant. Aussi, je pense que je n’aurais jamais imaginé pouvoir fonder mon propre studio dans une autre ville. Bruxelles reste ouverte, encore abordable par endroits, et ses multiples facettes en matière de création en font une plateforme hétéroclite et attachante, un peu à l’image du « design belge » que l’on qualifie comme tel. Mais, contrairement à l’architecture de Belgique, les styles sont moins marqués en design ici, en dépit des nombreuses organisations et évènements qui font la promotion du « design belge » . En toute honnêteté, j’ai toujours trouvé que ce qualificatif était un peu réducteur et compliqué à assumer. Il y a parfois plus de Français actifs sur ce créneau que de Belges ! J’en suis un bon exemple ! (Rires)

OTAP tables for Cruso © Julien Renault
Trouvez-vous aujourd’hui votre compte dans les contraintes industrielles ?

Oui, mais la question de l’écologie reste rarement abordée dans les briefs que je reçois. Parfois, cela est délicat car nous n’avons pas besoin de nouvelles chaises, et l’on va rétorquer que ce produit ou un autre est solide et intemporel. En tant que designer, pouvoir tout gérer demeure difficile. J’en suis conscient. Mais faut respecter la production, et cela doit aussi venir des marques. L’économie de moyens à plusieurs échelles est faisable. Par exemple, mes tables pour le jeune éditeur belge Cruso (la collection « Otap ») sont fabriquées à partir de panneaux rectangulaires standards, générés en Belgique, dans des ateliers à taille humaine, et à prix correct. Aussi, ces produits sont livrés à plat et cela permet une responsabilité notable pour le transport. Pour créer une table, on a pas besoin de penser à des choses folles. En général, un tabouret peut être une table et une table d’appoint une table basse ou une petite assise… Qui a vraiment besoin de marbre hors de prix ou de laiton ? Pour parvenir à plus de responsabilité, il faut aussi assumer la simplicité et ce, avant même le design d’un produit.

Mobilier Kewlox en verre et acier
Mist for Kewlox ©Julien Renault
C’est ce que vous faites pour le catalogue Kewlox ?

Kewlox est mon client constant depuis six ans (et cette collaboration a permis que mon studio soit viable financièrement, je l’en remercie). La société m’a approché pour actualiser ses designs et repenser ses aménagements et rangements sur-mesure. D’ailleurs, Kewlox produit et fabrique exclusivement en Belgique et est labellisée PEFC, pour une gestion durable des forêts.

Pastis chair for Hay © Julien Renault
Le contraste d’échelle doit être saisissant avec un éditeur comme le Danois Hay, pour qui vous avez livré votre première chaise Pastis, en 2022.

J’ai développé un rapport privilégié avec l’équipe de Hay, quelques-uns de ses collaborateurs sont devenus des amis avec lesquels on s’entraide dans nos réseaux respectifs pour présenter nos projets à d’autres éditeurs. Bien sûr, Hay produit en Chine et au Portugal mais sa qualité de fabrication est élevée et respectueuse de tous.

Et l’architecture d’intérieure… Pourriez-vous créer d’autres scénographies et intérieurs ?

Je vais continuer, après mes réalisations pour des hôtels, comme celui de La Reine Jane à Hyères en France (avec l’architecte d’intérieur Amaury Caeyman), ma femme (la boutique VA Jewellery), et à Courtrai (le café éphémère Cafe Gyproc à la Biennale Interieur en collaboration avec Paul Vaugoyeau) et des stands pour la marque suédoise Massproduction… L’architecture est comme la photo, elle me permet de faire des pauses entre mes projets.

Interview par

Mikaël Zikos

Promoting Creative Minds

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