Désormais aux mains d’un couple de passionnés, garant de son bel héritage, l’entreprise GENERAL DECORATION fondée par l’architecte et designer belge Jules Wabbes poursuit une renaissance plus-que-parfaite entamée il y a tout juste 10 ans. Rencontre avec Vincent et Caroline Colet dans leur showroom du quartier Brugmann à Bruxelles.
Votre projet n’a rien d’une véritable renaissance puisque l’épouse de Jules Wabbes a poursuivi son œuvre en protégeant un héritage et une signature uniques au monde. On devrait donc plutôt parler de continuité. Qu’est-ce qui vous a décidés à relever ce challenge ?
Caroline Colet : Mon mari est un ami d’enfance de Marie Ferran-Wabbes, (fille de Jules Wabbes, historienne de l’art et archéologue, ndlr.). C’est la famille de Jules Wabbes qui nous a approchés, pensant que Vincent était le plus-à-même de poursuivre cette aventure.
Vincent Colet : Jules Wabbes est le plus grand designer belge de l’après-guerre. Notre défi a consisté à trouver les artisans belges capables de reproduire ces pièces à l’identique. Il nous a fallu deux ans pour recréer un réseau d’ateliers partenaires.
Caroline Colet : Pour certaines pièces, comme la suspension Honeycomb, il faut compter pas moins de sept intervenants différents. Nous sommes allés les chercher dans tout le pays en leur proposant, luxe suprême, de prendre le temps de bien faire les choses. Beaucoup sont relativement âgés et porteurs d’un savoir-faire qui pourrait un jour être perdu si, comme cela semble être le cas, la relève n’était pas assurée.
Qui dit produit singulier, dit approche commerciale singulière. Expliquez-nous.
V.C : Pour chaque nouvelle pièce, nous calculons le prix final quand nous connaissons le coût des matériaux et de la fabrication. Nous ne fixons pas un prix en tenant compte des éventuelles attentes du marché ou de la concurrence.
Est-ce pour cette raison que, pour certains objets, vous tendez vers le design de collection ?
V.C : pour la lampe 57 (en dernière phase de prototypage au moment de cette interview, ndlr.), nous sommes partis d’une simple photo de Jules Wabbes à côté de la lampe ; une photo prise en 1957 lorsque l’objet a obtenu la Médaille d’Argent à la Triennale de Milan. Un exercice particulier puisque cette lampe en laiton poli n’avait – pour des raisons techniques – n’avait jamais été produite. Dans ce cas précis, nous avons collaboré avec Gaston Goldstein (Duplex Studio) qui nous a aidés pour sa re-modélisation. Nous avons ensuite réalisé pas moins de 4 prototypes, dont deux en bois avant d’arriver à cette lampe-sculpture destinée à être présentée en galerie dans une approche ’design de collection’ : une approche qui correspond assez bien à certaines pièces de la collection.
La signature Jules Wabbes est synonyme d’exclusivité, mais aussi de durabilité.
V.C : Les pièces de Jules Wabbes ne sont pas durables. Elles sont éternelles (rires). Ce qui favorise cette idée de design responsable, c’est que nous n’avons pas de stock. Nous réalisons chaque pièce sur commande, en éditions très limitées. Pour cette raison, nous ne travaillons qu’avec des architectes, tant en Belgique qu’à l’étranger. Notre showroom est notre principale vitrine, tout comme notre site et notre page Instagram. Nous avons la chance de pouvoir capitaliser sur l’immense notoriété de Jules Wabbes, ici, mais aussi aux États-Unis. Quand nous avons relancé GENERAL DECORATION, nous avons cherché, grâce au soutien de Marie Wabbes, à rendre chaque objet extrêmement désirable. Avoir accès à l’ensemble des archives de la Maison rend notre travail d’autant plus riche et pertinent.
Vous, Caroline, avez été décoratrice dans le cinéma, un secteur où la lumière joue un rôle clé. Comme dans l’univers de Jules Wabbes, somme toute…
C.C : Nous avons en effet relancé le projet par le biais des appliques en bronze ; des pièces qui diffusent une très belle lumière dans un intérieur. L’architecture contemporaine a tendance à intégrer la majorité des solutions d’éclairage, alors que la lumière indirecte crée des ambiances sereines et très actuelles.
Aujourd’hui, votre catalogue est très large. Au fil du temps, vous avez lancé d’autres luminaires, mais aussi du mobilier.
C.C : Cette année, nous allons en effet proposer une série de canapés en bois. Ce qui frappe, ce sont leurs proportions résolument contemporaines et, bien-sûr, la perfection du design et des finitions.
Comme pour chaque réédition, vous ne changerez rien au design initial.
V.C : même si nous disposons des dessins et des maquettes d’origine, il nous arrive de procéder à certains ajustements. Mais jamais sans nous être posé la question : qu’est-ce que Jules Wabbes aurait fait dans ce cas précis ? Pour le porte-manteau (une réédition de 1969), nous avons opté pour du chêne, plutôt que pour un bois exotique comme à l’époque. D’autant qu’au début de sa carrière, avant que les essences exotiques soient à la mode, Jules Wabbes utilisait du bois indigène.
Les objets que vous fabriquez sont en bronze, en laiton, en bois noble. L’essence du style Wabbes, mais aussi l’expression d’un niveau de qualité qui, désormais, est à nouveau célébré.
V.C : dans nos échanges avec les artisans, nous insistons sur notre volonté de parfaire certains détails de finition grâce, notamment, aux nouvelles techniques dont nous disposons, mais sans tomber dans le piège de la perfection. Il faut, quoi qu’il arrive, que l’objet conserve sa sensibilité.