Fabrizio Cantoni a fondé cc-tapis avec son épouse Nelcya Chamszadeh en 2011. Une aventure née de leur propre désir : créer des tapis comme il n’en existait pas. Ensemble et avec leur directeur artistique Daniele Lora, ils ont réussi à insuffler un vent nouveau dans ce métier de tradition. Fabricant au Népal, le couple collabore avec des designers reconnus comme Patricia Urquiola. Les Belges Muller Van Severen et Maarten De Ceulaer ont dernièrement épousé leur vision qui tisse des liens inédits entre les savoir-faire.
cc-tapis est née d’une envie commune. Racontez-la-nous.
Moi et Nelcya sommes totalement autodidactes dans le secteur de l’ameublement et de la décoration. Nous nous sommes connus à l’école hôtelière de Lausanne avec une tout autre idée en tête, celle d’ouvrir des delicatessens franco-italiens à New York… Mais lors d’un voyage en Californie, nous avons repéré un tapis au tissage orthogonal, dit « tekke », dans la vitrine d’un magasin. Nous avons alors souhaité en savoir plus et sommes rapidement tombés amoureux de l’histoire du tapis. Par la suite, nous avons traversé la Chine et le Népal afin d’en comprendre la fabrication. Nous avons ensuite su que nous allions vraiment nous épanouir dans ce métier. Après ces voyages, nous nous sommes installés en France, à Strasbourg, où nous avons travaillé dans un magasin de tapis appartenant au père de Nelcya. Et nous y avons presque tout appris.
Vous avez choisi Milan comme point d’ancrage pour la création de votre marque, ce qui semble évident.
Notre installation à Milan s’est imposée car, pour nous, il fallait être à l’épicentre du design. Bien qu’étant adulte avec une première vie professionnelle, je me suis inscrit à la Scuola Politecnica di Design (l’École Polytechnique de Design, NDLR) pour faire un master en architecture d’intérieur. Après ces études, nous avons ouvert notre premier showroom de tapis dans le quartier de Brera, en plein centre. La directrice de l’éditeur de mobilier haut de gamme Poliform nous a alors remarqué et a proposé de présenter nos produits sur son stand au Salon du meuble pendant la Design Week de Milan, ce qui nous a véritablement lancé.
Comment fabrique-t-on un tapis cc-tapis aujourd’hui ?
Cela reste toujours du fait-main. Dès nos débuts, nous avons souhaité fonder un atelier au Népal avec un associé tibétain. Aujourd’hui, c’est toujours cet atelier qui nous permet d’expérimenter, de pousser l’art du nouage de tapis en terrains inconnus. L’expérimentation est à la racine de notre ADN. Depuis, nous avons inauguré une autre branche de notre activité : la gamme professionnelle cc-tapis project. Elle est produite dans d’autres ateliers, en Inde et en Thaïlande, et se destine aux milieux du retail, de l’hospitality et de l’office.
Pourquoi votre mode de conception est-il unique en son genre ?
La plus-value de nos tapis repose nos recherches en matière de coloration des fils et ce, dès les étapes préparatoires de leur fabrication. La collection Venus Power de Patricia Urquiola, est ainsi née d’une envie de cette designer espagnole, très attentive à l’éco responsabilité, de réduire la consommation d’eau quand vient la teinture des tapis. Les différentes tonalités de ses tapis viennent donc d’un même bain de couleur. Autre exemple : les tapis Super Fake de Bethan Laura Wood sont quant à eux inspirés des collages que cette créatrice britannique réalisés à partir de chutes de matériaux laminés. Pour mener ces expériences, nous avons un avantage : celui d’appartenir à un milieu (le tapis) où les créateurs occidentaux ne connaissent pas encore toutes les façons de faire.
Comment votre responsabilité environnementale évolue-t-elle depuis la création de cc-tapis ?
Notre désir d’innovation est porté par une envie forte d’avoir un impact réduit sur la planète. Nous ne faisons pas de lavages chimiques : nous filtrons et réutilisons l’eau de pluie pour laver tous nos tapis. Nous sommes ainsi très attentifs à être et demeurer responsables à chaque échelle de notre entreprise, de la production au packaging (nous livrons dans des toiles plastic-free, générées à partir de déchets de l’industrie textile), jusqu’au transport de nos produits. Nous espérons ainsi bientôt proposer une alternative réelle à nos clients, comme des dons à des associations en contrepartie de notre empreinte carbone. C’est le fait que nous soyons une petite structure qui nous permet de céder à très peu de compromis.
Votre fondation éducative pour les enfants des artisans tapissiers népalais participe aussi à cette dynamique positive.
Depuis sa création, la fondation cc-tapis for education a permis de scolariser près de 60 enfants dans deux écoles différentes au Népal. Les fonds vont aux frais scolaires : livres et manuels mais aussi uniformes. Notre volonté a toujours été de participer à la vie locale autour de notre site de production, et à notre échelle, aussi petite qu’elle soit.
Quelles relations entretenez-vous avec la Belgique ?
En Belgique, notre agent est la marque de textiles Verilin, depuis près de cinq ans. Le marché belge est un marché de connaisseurs et passionnés, avec des gens adorables, comme les designers Muller Van Severen et Maarten De Ceulaer, à qui nous avons fait confiance pour développer deux collections.
Quelle est la particularité de la collection de Muller Van Severen pour cc-tapis ?
Fien Muller and Hannes Van Severen nous ont proposé une approche terre à terre à la création : dessins, maquettes en papier et photographies. Des formes découpées en plusieurs dimensions pour créer des effets d’ombres et de lumières évoquant les arts plastiques. Ombra, la collection de Muller Van Severen pour cc-tapis, se compose donc de deux tapis, en laine et soie : un monochromatique, l’emblème de la collection, et un autre multicolore. Cette collection a déjà eu un franc succès auprès de nos clients à l’international.
Et les créations de Maarten De Ceulaer ?
Elles sont inspirées des travaux de Jean-Jacques Audubon et John Gould, artistes peintres naturalistes et ornithologues du 19ème siècles, réputés pour leurs dessins d’oiseaux. Les tapis Feathers de Maarten De Ceulaer transcrivent leur univers pictural fait de plumes aux couleurs inouïes avec la plus haute qualité de nouage à la main tibétain qu’il existe, soit 250 000 nœuds individuels par mètre carré. Je dois dire que chaque nouvelle idée de designer pour cc-tapis nous fait toujours nous sentir comme des groupies avec ma femme Nelcya et notre directeur artistique Daniele. Nous sommes toujours émerveillés.