Auréolé « designer de l’année » et célébré à « Please Have a Seat », l’exposition évènement de la Biennale Interieur, l’architecte d’intérieur Sébastien Caporusso fête aujourd’hui sa reconnaissance.
Le design de meubles comme la création d’intérieurs uniques pour de nombreux projets privés à l’étranger tout comme en Espagne et en Italie, et des espaces de coworking en plein centre de sa ville, Bruxelles, font sa renommée. Pour cause, le créateur est investi dans un mode de production artisanal et utilise des matériaux durables au bénéfice d’un grand sens de l’esthétique, ce qui évoque les meilleures années modernistes.
Comment votre passion pour l’architecture intérieure est-elle née ?
Jeune, j’étais à la fois intrigué par le milieu artistique et le milieu de la construction et la possibilité de pouvoir avoir un pied dans ces deux mondes par la création de meubles et d’espaces. J’ai rapidement créé mon propre univers. Durant mes études, je récupérais des objets et des matériaux que je rassemblais entre eux.
Qu’avez-vous appris au CAD (College of Art & Design – Bruxelles) où vous avez réalisé votre formation ?
Cette école dispose d’un suivi intéressant et qui encadre ses étudiants de professionnels. On est très vite dans le concret. J’ai pu choisir mes stages librement, ce qui m’a permis de postuler dans des entreprises à l’étranger. J’ai donc eu des expériences de travail au Japon, à Hong-Kong, à New York ainsi que dans plusieurs villes européennes, ce qui m’a ouvert à d’autres cultures et ce qui m’a permis d’observer et de comprendre les différentes manières de créer une architecture d’intérieur et du mobilier dans le monde.
Qu’avez-vous retenu de ces échanges avec l’étranger ?
Savoir respecter les traditions et innover en même temps, tout en prenant appui sur des savoir-faire locaux, œuvrer avec des artisans géographiquement proches du client final. J’ai retenu que la cohérence, en termes de style comme de conception, dépend de ce respect. Cette façon de penser et de concevoir perdure dans ma pratique. L’architecture japonaise m’a tout particulièrement inspiré, notamment l’assemblage des matériaux et traitement du béton ; une combinaison entre minimalisme, précision et hommage à la matérialité des choses. Les architectes et designers japonais savent synthétiser les besoins et laisser à la fois place aux matériaux industriels dans toute leur brutalité et à la nature.
À quoi ressemble l’équipe qui vous accompagne dans vos différents projets ?
Je collabore avec des architectes en bâtiment, des ingénieurs ou encore d’autres architectes d’intérieur pour des projets de grande ampleur sinon je travaille essentiellement seul pour la création de mobilier en pièce unique. J’arrive souvent à dessiner, faire des propositions, assurer le suivi et les échanges avec les clients et les artisans par moi-même. Pour mes meubles et pièces uniques, je développe moi-même le prototypage. Je vais voir directement les fournisseurs et les fabricants spécialisés.
Que vous inspire le modernisme, dont votre processus créatif est empreint ?
Ce qui m’intéresse dans le modernisme est l’esprit de synthèse, le focus sur l’essentiel et la place centrale donnée aux matériaux, souvent nobles. Les réalisations modernistes, leurs structures sobres voire nettes, mais aussi leurs différentes imbrications de matériaux (béton, pierre naturelle, bois et métal), parlent d’elles-mêmes.
Quelles autres époques vous intéressent ?
J’habite une maison bruxelloise datant de la fin des années 1920 et je travaille en ce moment sur un projet de rénovation des années 1930. Une période durant laquelle les détails architecturaux furent plus généreux que durant le modernisme, et où la décoration fut au premier plan.
Quelles découvertes avez-vous faites depuis vos débuts ?
La céramique tient une place de plus en plus importante dans ma pratique depuis deux ans. J’aime me surpasser et la terre me permet cela : donner vie à des formes inhabituelles, émaillées ou non émaillées, pour concevoir des objets usuels. L’esprit d’assemblage japonais entre les matières m’anime toujours et le travail du bois, traité de manière massif avec des découpages géométriques, ou bien mélangé avec des matières précieuses comme le cuir, devient aussi très présent dans mon travail qui se concentrait jusqu’ici sur les matières minérales plutôt brutes comme la pierre naturelle et le béton.
Comment avez-vous répondu à la carte blanche que l’enseigne de coworking Silversquare vous a tendue pour l’aménagement de leurs espaces dans le quartier européen de Bruxelles ?
J’ai été contacté par Silversquare et j’ai échangé avec eux de manière assez libre. Leur équipe m’a d’abord questionnée sur ma vision en termes d’espace de travail et plus particulièrement de bureaux partagés. Ma proposition pour l’architecture intérieure de leur implantation au square de Meeûs a été accueillie sans encombres par leur direction. L’un de leurs seuls impératifs était le nombre de places assises. Mon idée de départ — concevoir un rez-de-chaussée de 600 mètres carrés comme une maison de vacances qui évoque les architectures modernistes de la Côte d’Azur, les années 1960 et 1970 —, a été respectée et les retours des usagers sont excellents depuis l’ouverture de cet espace.
Votre fauteuil Gustav, en bois, laine et marbre, devient l’une de vos pièces emblématiques.
Pourquoi aimez-vous tant mélanger les matériaux dans vos réalisations ?
Je crois que je n’arrive pas à me restreindre à l’usage d’un seul matériau (rires). La matière me passionne, le fait de sélectionner, de découper et d’assembler des pans de matériaux avec des détails, comme de belles « flammes » dans les placages de bois, des marbres naturellement veinés à certains endroits, des tissus naturels texturés qui appellent au toucher, définissent l’esthétique et la fabrication de mes meubles. C’est cette tension entre les matières qui m’intéresse afin de produire des objets uniques pour moi-même ou lors de chaque intervention dans un intérieur.
Pourquoi l’upcycling et la création à partir de matériaux anciens a-t-elle une place importante dans vos réalisations ?
La récupération d’éléments de mobilier anciens de cuisines mais aussi de salles de bain peut être une vraie plus-value pour l’esthétique mis à part le caractère écologique voire économique de ce mode de conception. Beaucoup de typologies et de matériaux anciens ont fait leurs preuves à travers le temps et valent toujours d’être employés. Je récupère aussi beaucoup de matériaux bruts afin de minimiser les déchets et de m’inscrire dans une démarche responsable.
Posez-vous encore la question de la durabilité de vos projets ?
La durabilité est inhérente à mon mode de création (j’ai souvent des propositions de démolisseurs et de récupérateurs de matériaux). Ce facteur fait partie de la recherche et du développement de chacun de mes projets, au même titre que la fonction et l’esthétique.
Quelles sont les particularités des artisans belges, avec lesquels vous collaborez ?
J’observe un regain d’intérêt pour l’artisanat et les activités manuelles en Belgique, ce qui est bénéfique. Beaucoup de jeunes sont maintenant investis dans l’ébénisterie, la ferronnerie, la menuiserie, et le béton a toujours la côte, ce qui permet de réaliser des projets exigeants et qui demandent une ouverture d’esprit.
Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face avec les corps des métiers les plus traditionnels ?
Le travail des éléments suspendus qui demandent des structures particulières en termes d’ingénierie, une réflexion ainsi qu’un échantillonnage et de main d’œuvre adaptée pour pouvoir arriver à un produit fini. Pour mes dernières tables basses Nenu, présentées au Contemporary Design Marketde Bruxelles, la découpe de la pièce de marbre demandée au fournisseur Van Den Weghe fut particulière afin que la pierre puisse flotter visuellement dans le béton.
Que vous inspire le terme « design industriel » aujourd’hui ?
Le design industriel est créé par une demande globale. Je suis plutôt favorable à un artisanat local, dans le meilleur des mondes ; pouvoir demander à un artisan de fabriquer une chaise pour son propre usage. Je suis cependant intéressé par les possibilités de dialogue qu’offre le monde du design industriel car un meuble produit en série peut avoir une répercussion sociale.
Que vous apportent vos participations à Collectibleet les foires de design de collection?
Les amateurs de design en pièce unique et les collectionneurs qui découvrent mon travail à ce moment deviennent parfois des clients pour des projets de plus grande ampleur.
Quelle est votre clientèle et comment ses attentes évoluent-elles ?
Elle est principalement bien installée et certains jeunes me demandent de plus en plus des pièces personnalisables. Il y a une tendance forte pour cette démarche en ce moment.
Quelle place accordez-vous à la représentation de vos créations par l’image ?
Le processus m’intéresse tout autant que le produit fini.
Sentez-vous faire partie d’une génération d’architectes d’intérieurs et de designers ?
Je ne pense pas, j’essaie de pas faire partie d’une génération, pas de la mienne en tout cas.
Je n’aime pas trop les cases, j’aime le fait d’être libre et de pouvoir m’entourer si besoin.
Aussi, je réfléchis toujours sur le devenir de chaque projet, dès sa conception. J’aime penser que mes réalisations ne sont pas datables ou n’appartiennent pas forcément à une époque donnée, qu’elles s’inscrivent plutôt dans une forme d’intemporalité. Et bien qu’étant belge, je ne me considère pas comme « designer belge » mais plutôt comme un créateur international car chacune de mes réalisations reposent sur un travail en commun avec des artisans locaux.