Lucile Soufflet: le choix du public

Lucile Soufflet: le choix du public

Categorie: Interviews
Date de publication:

C’est suffisamment rare pour le souligner. La première grande exposition monographique d’une designer taguée mobilier urbain : Lucile Soufflet, bien présente depuis le début des années 2000 dans le paysage avec son fameux Banc circulaire et d’autres productions servant les collectivités publiques et les communautés urbaine, expose au CID Grand-Hornu jusqu’au 24 août. Un événement qu’elle a conçu comme un espace public. « Là où la vie se déroule » raconte-t-elle.

Zitt, Anderlecht (Brussels), (c) TF URBAN
Qu’est-ce qui vous a amené à la création de mobilier urbain en tant que designer ?

Mon attrait pour le mobilier urbain date de mon travail de fin d’études en design industriel à La Cambre en 1998, l’année où je suis sortie diplômée. Je commençais à m’intéresser aux villes pour comprendre comment elles fonctionnaient, et plus largement m’intéresser au design autrement que comme une pratique de laquelle découle un objet de consommation. Mon intérêt pour la place publique s’est ensuite précisé, puis je suis arrivée à produire quelques prototypes et, après un peu de presse, j’ai eu une commande de la ville de Bruxelles pour réaliser un banc public. Cette première commande date de 2000, avec une installation du mobilier à partir de 2003.

Vous ne vous êtes pas limitée au mobilier urbain…

Il est vrai que mes projets en mobilier urbain se sont enchaînés depuis une vingtaine d’années et au final, j’ai plutôt été identifiée comme spécialisée dans ce domaine, bien que j’opère aussi quelques incursions dans le design outdoor ainsi que la production d’objets. En parallèle, je me suis donc ouvert à la céramique. J’aime beaucoup la matière (le verre, le bois, le métal et les matériaux accessibles) et la travailler en atelier.

Reste-t-il compliqué d’évoluer en tant que femme designer dans le secteur du design industriel, très masculin ?

Compliqué non. C’est un milieu qui reste majoritairement masculin et il est vrai qu’il faut toujours justifier son point de vue, savoir soutenir et assurer sa position. En tant que femme, on risque d’être plus vite remis en question.

Circular bench, Brussels (c) Lucile Soufflet
À quelle échelle de production travaillez-vous?

Il y a des productions industrielles avec un volume de fabrication important, comme la chaise Up&down pour Fermob, la marque française spécialisée dans l’outdoor. Et il y a des projets édités comme Le Banc circulaire, qui reste sans doute ma production la plus diffusée depuis sa création, avec le fabricant et éditeur TF Urban (tôlerie spécialisée dans l’aménagement des espaces publics, NDR). Nous produisons à la fois des modèles définis, qui font partie de leur catalogue, mais aussi et surtout des éléments sur mesure qui se déclinent sous différentes formes et dimensions au gré des commandes publiques et privées. Enfin il y a les projets spécifiques, conçus pour un site et réalisés dans un atelier, avec un artisan ou avec une entreprise, et qui font l’objet d’une production unique ou limitée.

Altopiano (c) Maxime Delvaux
Quid du design côté indoor ? Est-ce un segment qui vous intéresse ?

J’ai réalisé quelques productions, notamment avec les designers textile Chevalier Masson pour l’aménagement de la Cité internationale universitaire de Paris, ou encore pour le Musée Royal de Mariemont, mais assez peu… Je ne sais pas pourquoi je me retrouve toujours exposée au vent et à la pluie ! (Rires) Il y a quelque chose lié à la rudesse des éléments naturels qui correspond à ce que j’aime et qui me conduit presque toujours vers le mobilier urbain. Je ne reste cependant pas fermée à travailler avec des matériaux adaptés au mobilier d’intérieur.

Landscape (c) Lucile Soufflet
Comment expliquez-vous que le mobilier urbain soit si peu discuté aujourd’hui alors que des besoins existent ?

Je pense que ce domaine a encore une image laborieuse. C’est un secteur dans lequel les projets peuvent prendre des années à se concrétiser. C’est aussi une activité qui peut être intégrée à celle des bureaux d’architecture pour les budgets de réaménagement. Le designer industriel est l’acteur auquel on ne pense peut-être pas directement aujourd’hui pour réaliser un projet public. D’un point de vue systémique, il n’y a pas de procédure unique, la demande peut venir de clients différents (une ville, bureau d’architecture, un fabricant…), et donc avec des méthodologies différentes… Il peut arriver également d’être appelé pour collaborer en tant qu’artiste, la case de designer ne restant pas très bien définie.

Y aurait-il un manque d’investissement dans le domaine du mobilier urbain ?

Il reste plus facile et souvent plus économique de choisir sur catalogue, au détriment parfois du projet d’aménagement et de son identité. Les appels d’offre évoluent certes, mais il se doivent d’identifier plus précisément le rôle d’un designer de mobilier urbain. Cependant, je trouve que la Belgique est assez active dans ce domaine et dans l’ouverture à la dimension créative dans l’espace public.

Et la nouvelle génération ? (Vous enseignez à La Cambre à Bruxelles en design industriel.)

Beaucoup de jeunes sont sensibles à l’urbanité, à la surconsommation aussi, et au bien produire. Travailler pour une collectivité, dans une dimension commune, et avec des objectifs de durabilité, de longévité les intéresse. Cependant, trouver son chemin dans la commande publique, qui reste laborieuse en termes de temps, en termes administratifs, en rebute plus d’un.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je produis du mobilier urbain avec le bureau belge d’architecture et d’urbanisme Multiplicity, dans le quartier de Fernand Cocq à Bruxelles. D’autre part, une chaise individuelle devrait sortir chez Fermob. Celle-ci a d’abord été pensée pour le CAP à Mons (complexe muséal au cœur de la ville).

Que représente pour vous votre exposition monographique au CID Grand-Hornu, à ce stade de votre carrière ?

Pour moi, cette exposition a été un travail à part entière. Le Grand-Hornu est un site exceptionnel et je me suis demandé comment montrer un mobilier urbain hors contexte habituel.

Comment l’avez-vous pensée ?

La scénographie de l’exposition se compose de grands socles légèrement inclinés qui ont bien sûr pour vocation de présenter mes différents projets, mais aussi et surtout de proposer une circulation non linéaire, avec plusieurs perspectives. On s’y promène comme dans des sentiers. Il y a deux zones dégagées où les socles incorporent des assises qui proposent des points de vues sur le lieu, et où sont projetées des vidéos d’espaces publics qui donnent du contexte, du brouhaha – un écho à la cartographie urbaine. C’est comme un plan de ville découpé, à une autre échelle, avec des éléments qui forment une topographie, des chemins, bifurcations, croisements… L’espace de l’exposition est vu comme un projet en soi, qui demande à être investi, vécu, partagé.

Vous êtes native de Charleroi et avez grandi dans une famille ayant travaillé dans l’industrie du charbon. Que vous évoque le fait d’exposer dans cet ancien site charbonnage du Grand-Hornu ?

Il était assez touchant d’être contacté par le CID Grand-Hornu pour exposer. Jeune, j’allais souvent sur les magasins de charbonnage abandonnés et fouiller dans les matériaux, au milieu des machines. C’est un patrimoine que je connais bien et je suis heureuse de partager cette mémoire en exposant mes projets dans ce contexte qui évoque le monde ouvrier et le travail qui a été accompli.

Interview par

Mikael Zikos

Promoting Creative Minds

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