Maarten De Ceulaer: la boîte à trésors

Maarten De Ceulaer:
la boîte à trésors

Categorie: Interviews
Date de publication:
Mutation ©Nico Neefs

Diplômé de la Design Academy Eindhoven (DAE) aux Pays-bas et lauréat, entre autres distinctions, du Henry Van de Velde Award for young talent, le belge installé à Bruxelles n’a de cesse que de pousser plus loin sa soif de création.

Vos créations dégagent beaucoup de poésie. Celle-ci prime, semble-t-il, sur la fonctionnalité de vos mobiliers et de vos objets.

La Design Academy Eindhoven où j’ai étudié est réputée pour être « The House of Concept ». Vous y apprenez à réfléchir à des objets empreints d’une histoire.  Inconsciemment, je pense que j’ai conservé cet état d’esprit narratif. Mais il est évident qu’au cours d’une carrière, l’esprit évolue. Je suis désormais plus souple dans ma manière de penser le design, mais il n’empêche que, même dans un projet industriel, cette dimension du récit reste omniprésente, même si ce n’est qu’en filigrane.

Dans la série « Suitcases » qui était votre travail de fin d’études à la DAE, mais aussi votre premier succès qui fut repéré et édité par la galerie milanaise Nilufar de Milan, on ressent que le fil conducteur qui vous anime – celui de l’itinérance, de la migration et du nomadisme – vous permet d’inscrire vos créations à la fois dans l’actualité et la pérennité.

Quand il s’agit de mon travail personnel, j’aime réfléchir en termes de séries, plutôt que d’objets uniques ou isolés. Au fil du temps, ces séries grandissent et donnent lieu à de nouvelles pièces. C’est le cas de la collection « Mutation » lancée en 2011. Dernièrement, j’y ai intégré des miroirs, un élément auquel j’avais déjà songé, mais qu’il m’a fallu un certain nombre d’années pour concrétiser.

La ligne « Suitcases » en est peut-être l’exemple le plus frappant. Il s’en dégage une impression d’intemporalité. Est-ce bien là votre volonté ?

La notion de voyage et d’aventure est ancrée en chacun de nous. Mes lignes, surtout quand elles s’enrichissent de nouvelles pièces, laissent libre cours à des interprétations multiples. C’est aussi ce qui explique qu’elles continuent d’inspirer et de fasciner les gens et ceux qui les collectionnent.

Tout un temps, le design d’art et le design industriel ne faisaient pas bon ménage. Or, vous vous épanouissez dans les deux disciplines qui finissent parfois par se rejoindre.

Tout s’est construit de manière spontanée. Ma collection de fin d’études s’apparentait à du design artistique, mais je n’ai pas voulu me laisser enfermer dans cette catégorie. J’aime la liberté qu’offre la collaboration avec des galeries, mais j’apprécie aussi les contraintes techniques et budgétaires liées au design industriel. S’adresser à un public plus large par le biais d’objets démocratiques me plait d’ailleurs beaucoup.

Pour séduire les éditeurs et promouvoir vos créations, les foires étaient jusqu’ici un passage obligé. Suite à la digitalisation du secteur et aux récents confinements, pensez-vous qu’elles vont disparaître ?

J’espère que non. J’ai été confronté à beaucoup d’annulations et de reports dans la mise en œuvre de mes projets, mais je reste convaincu de l’importance de pouvoir toucher les produits. « Feathers », la ligne de tapis que j’ai conçue pour CC-Tapis, en est un bon exemple. Depuis le confinement, la marque a multiplié les concepts novateurs pour continuer à communiquer sur ses collections. Ils ont notamment créé des vidéos et des performances animées pour donner un sentiment de vie. Ensemble, nous avons même imaginé une série d’animations pour promouvoir le lancement de « Feathers ». C’est très intéressant, mais dans ce cas précis, on parle tout de même de tapis noués à la main au Népal. Chaque pièce demande environ quatre mois de travail pour un seul artisan. Pour percevoir clairement la beauté des matériaux et le savoir-faire humain qui y est investi, il n’y a rien de tel que de les toucher. Il n’est pas forcément nécessaire de les présenter sur un immense stand. Des rencontres intimes peuvent également faire l’affaire.

Aujourd’hui, la réalité locale est sur toutes les lèvres. Est-elle un frein au champ des possibles pour un designer ?

Il est évident que le savoir-faire des artisans népalais ou de celui de l’atelier bavarois où je fais réaliser mes vitraux n’est pas transposable ailleurs. Il s’agit de techniques séculaires qui se perpétuent de génération en génération. Je dispose d’un réseau belge pour le cuir, le verre, le marbre… mais aussi d’un circuit international. Si les artisans sont locaux et peuvent me permettre de réduire notre empreinte écologique, tant mieux. Sinon, je vais chercher mon bonheur ailleurs.

Sofas, luminaires, tapis, … Rien ne semble vous ennuyer.

Je n’aime pas me sentir enfermé dans un lieu, une technique, un style… En ce sens, je ne considère pas mon statut de designer belge comme central dans ma démarche. Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer toutes les facettes de mon métier. Certaines recherches expérimentales prennent beaucoup de temps ; c’est le cas pour les lampes que je développe depuis plus de deux ans avec l’Atelier Mestdagh à Merelbeke. En marge du travail sur les vitraux, j’y intègre d’autres matières, comme le marbre. Cette démarche exploratrice requiert de la patience. Contrairement aux apparences, j’en ai peu. J’ai donc besoin, pour accepter de laisser les choses se construire organiquement, de me plonger dans d’autres univers et techniques. En tant que designer, c’est ce qui me donne l’oxygène dont j’ai besoin pour continuer à créer. Mon métier est comme une boîte à trésors. Un jour, je m’immerge dans les vitraux. Le lendemain, je crée des tapis très graphiques, une première pour moi. Rien ne m’arrête.

Interview par

Marie Honnay

En collaboration avec

WBDM s’associe à TLmagazine pour promouvoir et diffuser la créativité et le talent belges à l’international. Pour découvrir plus d’articles sur la créativité belge, rendez-vous sur TL Magazine

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