Designer investie pleinement dans toutes les facettes de son métier, Marina Bautier recueille le succès avec sa marque éponyme Bautier, singulière et discrète.
Le Japon, tout comme la France, nous l’envie. Ses meubles comme son Daybed (un best-seller), et ses accessoires pour la maison, font le bonheur de ceux qui cherchent un mobilier et des objets à l’esthétique juste, issus d’une production durable et de proximité. Aujourd’hui, le café qu’elle a ouvert dans son unique point de vente situé à Bruxelles et ses futurs logements d’hôtes complètent cette offre unique avec harmonie.
Qu’est-ce que « la qualité » en design, selon vous ?
Des meubles véritablement fonctionnels, discrets et durables, l’intemporalité d’une esthétique aussi (j’admire ainsi toujours le design des années 1970). J’aime enfin l’idée qu’un meuble ou un objet puisse être utilisé de génération en génération, de première main en seconde main.
Quels furent vos débuts en tant que designer industriel et pourquoi avez-vous choisi la voie de l’autoédition ?
J’ai toujours aimé bricoler, inventer, construire. A 18 ans, je suis partie étudier pendant un an en Angleterre, pour faire une année préparatoire en art et design, au Camberwell College of Arts. Là bas, je me suis orienté vers le design 3D et j’ai fait mon BA (Bachelor of Arts en anglais) en design de meuble, au Buckinghamshire Chilterns University College : des études pratiques, souvent en atelier. Après ma formation, mon envie au départ était de travailler pour des éditeurs mais l’autoédition — une chose assez courante en Angleterre —, me faisait envie. C’est en collaborant avec la marque de mobilier suédoise Swedese pour la création d’un fauteuil, et en visitant leur site de production en Europe, que j’ai eu l’idée de me lancer avec ma propre production afin de pouvoir maîtriser toute la chaîne de fabrication, tout comme la vente et enfin la communication.
Quand avez-vous pris la décision de lancer votre propre marque : Bautier ?
C’était en 2009. Un moment particulier car je commençais à avoir des partenaires industriels fidèles qui produisaient mes designs (comme l’Anglais Case Furniture et le Français Ligne Roset), mais l’idée de créer ma propre marque de meuble prit le pas. En 2013, suite à quatre années de développement pour mettre en place une collection inaugurale, j’ai donc ouvert mon showroom-boutique à Forest, à Bruxelles. Aujourd’hui, je peux maintenant dire que je suis contente de mon choix. Depuis près de 10 ans, je dessine et je choisis de produire des meubles et des accessoires pour la maison à mon propre rythme. Je conserve certains prototypes depuis longtemps, alors que d’autres créations voient le jour de façon plus immédiate. Mais jamais je ne me fixe de règles.
Où vos meubles et accessoires sont-ils fabriqués depuis ?
J’ai commencé par faire fabriquer mes meubles en Belgique, et quand j’ai dû chercher de nouveaux fabricants j’ai eu l’option d’aller dans l’est de l’Europe ou en Allemagne. J’ai choisi des ateliers allemands pour leur proximité. Et cela fait maintenant huit ans que je collabore avec eux. Ils sont à environ trois heures de Bruxelles, ce qui n’est pas très loin. Au départ j’y allais souvent, maintenant nous faisons tout à distance. Je continue par ailleurs de fabriquer certains accessoires en Belgique et je suis actuellement en contact avec une autre menuiserie ici, avec laquelle j’aimerais travailler.
Collaborez-vous toujours avec d’autres marques et éditeurs de mobilier ?
Bautier est mon activité principale. Je n’accepte plus de nouveaux projets et je ne démarche plus à l’étranger. Seule la marque japonaise IDÉE produit encore plusieurs collections complètes que j’ai dessiné en 2009 et 2012, et depuis 2015 nous avons encore fait quelques pièces ensemble et cela va continuer. Elle fait partie du groupe de la grande enseigne MUJI, qui en dépit de sa taille fabrique des produits pour le quotidien avec une certaine qualité. Je respecte leur façon de faire car chez eux, le designer n’est pas mis en avant — c’est le produit qui parle pour lui-même —, et cela me correspond bien car je n’aime moi-même pas attirer l’œil.
Les produits Bautier reposent sur un design essentiel et facile à vivre. Aviez-vous toujours envie que vos créations reflètent ceci ?
Quand j’ai lancé Bautier, l’une des premières choses qui me suit venue à l’esprit fut de mettre moins l’attention sur un produit ou sur un objet, mais sur un ensemble domestique que l’on peut aisément s’approprier. J’ai ainsi souhaité penser d’abord à une collection globale pour la maison et ensuite, plus précisément, à des typologies : lits, chaises, tables, canapés, rangements… Quand j’ai réalisé mon premier catalogue, pour les photos, j’ai emprunté des luminaires que j’avais repéré chez la marque espagnole Santa & Cole, puis j’ai fini par les proposer à la vente, tout comme des produits d’autres éditeurs. La création d’accessoires (textiles dont linge de table, de lit, plaids, et céramiques) m’est venue ensuite progressivement, à partir de 2017. Je pense qu’elle participe peu à peu à faire de Bautier plus qu’une marque : un style de vie.
Votre approche terre-à-terre se traduit jusque dans les photographies de vos produits, réalisées en argentique…
Il est vrai que, comme mes meubles sont solides et peuvent aller dans presque n’importe quel intérieur, pour une utilisation quotidienne, je voulais obtenir des images qui traduisent bien cette simplicité que j’apprécie, le caractère naturel de ces meubles, et la convivialité aussi. Je n’aime pas les chichis, j’aime la spontanéité, voire les choses brutes. Ayant fait un peu de photographie étant jeune, j’ai toujours préféré le tirage argentique au numérique, son grain particulier et tout le processus existant derrière, qui requiert de la patience et demande d’être ouvert aux aléas. C’est ce que nous avons réussi avec la photographe Stéphanie De Smet qui est l’auteure de ces photos.
L’ouverture de votre propre café ainsi que votre sélection de livres font aussi de votre lieu de vente un endroit où l’on prend son temps…
Oui, je souhaite Bautier ne soit pas qu’un simple showroom-boutique de meubles mais un véritable lieu de vie car je veux que l’on puisse prendre le temps de « se projeter » dans mes designs, ou avoir la libre envie de découvrir un livre, ou de juste faire une pause en profitant du café. J’accorde autant d’importance à la phase de conception, la recherche qui vient avant celle-ci, mais aussi la présentation des projets, tout comme le moment où l’on en profite après. L’idée d’ouvrir mon café fait suite à l’aventure de ma table d’hôte — des déjeuners que je préparais moi-même et que je tenais au premier étage du magasin, un vendredi par mois, pendant plusieurs années. Même si j’aime cuisiner et recevoir, cela me prenait beaucoup de temps. Depuis cette expérience, le bien-recevoir continue à m’intéresser. Je projette donc d’ouvrir prochainement deux chambres d’hôtes qui seront construites au-dessus du dernier étage de la boutique (je viens d’obtenir le permis de construire). J’y installerai un studio, côté rue, et un appartement une chambre, côté jardin.
Quelle place le digital occupe-t-il dans votre activité ?
Mon site internet, bautier.com, et mon compte Instagram, sont les premiers endroits où le public fait connaissance avec mon histoire, mes produits et ce que je propose autour. Beaucoup de gens achètent à distance et sans venir voir les meubles et objets au préalable — ce qui m’étonne toujours. La plupart se déplacent expressément et parfois de très loin. Car la particularité de Bautier est que je vends uniquement mes meubles et mes accessoires de mon propre site internet et dans ma propre boutique.
Comment le public est-il réceptif à votre approche ?
Il sait ce qu’il achète, et il a avant tout envie de meubles et objets qui tiennent dans le temps, et d’une forme de sérénité. Beaucoup de clients reviennent car ils sont satisfaits d’un premier achat en termes de confort, de durabilité et d’esthétique, car les produits Bautier sont suffisamment « calmes » pour s’accorder avec ce qu’on a chez soi. En ce sens, ils ne font « pas de bruit ». Je crois que cela est essentiel pour moi, comme pour beaucoup de gens de nos jours. Aussi, une partie grandissante du public est aussi ravie de pouvoir venir à la boutique pour faire tout autre chose que simplement voir des meubles en vue d’un potentiel achat. Enfin, les prix restent attrayants. J’avais commencé par avoir une production belge bon marché (car elle avait malheureusement été sous-estimée par le fabricant) et, quand j’ai dû en changer, j’ai quasi doublé mes prix. Cela fut difficile pour moi au début car j’avais très envie que Bautier soit accessible mais à un moment, j’ai compris que si mes meubles devaient être produits en Europe, cela aurait un coût. Et heureusement le public a compris et a suivi.
Comment celui-ci a-t-il évolué avec le temps ?
Mon premier public était auparavant principalement étranger. Cela a été plus lent pour moi de me faire connaître en Belgique. Maintenant la Belgique est mon premier marché et les allemands, les français et les suisses sont nombreux à nous suivre. Nous continuons à envoyer nos meubles à l’étranger, aux États-Unis même, et nous privilégions le transport en bateau pour ce faire. Il m’est essentiel pour moi que le projet Bautier soit à la fois viable et respectueux de l’environnement.
Quel regard portez-vous sur l’image de votre marque aujourd’hui ?
Les gens disent toujours qu’ils sentent une inspiration japonaise dans mes créations. Au contraire, le public japonais aime mon travail et ma démarche parce qu’elle est européenne ; je crois qu’ils aiment surtout le caractère accueillant et chaleureux du design européen et sont curieux de ce fameux bien-vivre que nous entretenons sur notre Vieux Continent.