Co-fondateur de l’atelier de céramique Studio Biskt, un projet qu’il orchestre avec Charlotte Gigan, sa compagne, le designer Martin Duchêne a créé Mekanika, une société spécialisée dans la création et la fabrication d’outils en kit. Il nous a raconté cette aventure qui redéfinit la manière dont on crée, fabrique et transmet.

Racontez-nous la genèse de ce projet.
Après mes études de design, nous avons lancé, avec mon meilleur ami, l’ingénieur Maxime Gravet, un studio d’ingénierie et de design. Pour réaliser nos prototypes 3D, nous avons eu l’idée de fabriquer notre première fraiseuse. Cette démarche nous a non seulement intéressés, mais elle nous a aussi donné envie de rendre cet outil (et d’autres) accessible à un maximum d’artisans et de designers. Pour nous, il s’agissait de changer le business en proposant des outils en kit dans un principe d’open-source. A l’instar des logiciels libres, tout ce que nous concevons est consultable en ligne gratuitement. Ce qui signifie que les utilisateurs de nos outils (artisans, designers ou simples bricoleurs) peuvent adapter librement la machine en fonction de leurs besoins spécifiques. Au début, on nous a évidemment pris pour des fous. Les gens pensaient que l’open-source était forcément synonyme de plagiat. Dans la pratique, les interactions avec les utilisateurs de nos machines nous permettent au contraire de les améliorer et de constituer une vraie communauté autour de notre projet.

Votre approche est, c’est vrai, peu commune.
Quand nous nous adressons, lors de conférences par exemple, à des artisans ou des geeks habitués des solutions open-source, notre démarche n’étonne pas. Notre philosophie est proche de celle qu’on peut observer depuis longtemps dans les pays nordiques. Aujourd’hui, on parle beaucoup de circuits-court dans le secteur du vêtement et de l’alimentation. Nos kits sont emballés dans des boites en carton qui tiennent sur une seule palette. Compte tenu des faibles coûts de transport, nous réduisons évidemment l’empreinte écologique des machines, mais nous favorisons aussi la création de petits hubs composés de makers, de designers et de créatifs qui œuvrent au niveau local là où nos kits sont assemblés par leurs utilisateurs.

Vous avez profité du confinement pour affiner votre projet et le faire décoller. Expliquez-nous.
Nous avons mis à profit ce moment de pause pour réfléchir aux fondements de notre projet et à notre envie d’ancrer cette notion de partage de connaissances au cœur de notre démarche. Dans un même temps, les métiers manuels ont été clairement revalorisés avec, à la clé, de nombreuses reconversions professionnelles. Ce qui a rendu nos outils d’autant plus pertinents. Nous avons alors rédigé un manifeste qui reprend les valeurs de l’entreprise et développé un kit starter plus spécifiquement dédié aux utilisateurs les moins expérimentés. Si, lors de son lancement, notre projet paraissait un peu utopique, nous avons respecté tous nos engagements. Six ans plus tard, nous restons très actifs, tant sur la toile (par le biais de nos vidéos YouTube) que lors des évènements que nous sponsorisons.

Votre produit phare, c’est donc une fraiseuse !
Nous la déclinons pour l’instant en 3 kits différents, chacun s’adressant à un autre profil d’utilisateurs : bricoleurs, designers, artisans ou entreprises. Nous avons aussi développé un kit de sérigraphie qui, lors de son lancement, nous a offert une belle visibilité médiatique. A ce stade, ce n’est pas notre bestseller, mais nous comptons remettre ce produit sur le devant de la scène très prochainement.

En quelques années, le projet a grandi. Vous êtes 3 à œuvrer au développement de Mekanika. Comment êtes-vous structurés ?
Roldan Descamps nous a très vite rejoints. Bioingénieur de formation, il est en charge du volet plus stratégique de l’entreprise, notamment des levées de fonds qui nous ont permis de grandir. Forts du succès commercial du kit starter et grâce à plusieurs investisseurs qui nous ont soutenus de 2022 à aujourd’hui, nous employons 16 personnes : une équipe multidisciplinaire (designers, commerciaux, chargés de production…) qui nous permet d’internaliser tous les postes nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. En 2024, nous avons vendu 300 machines et 1.000 autres sont actuellement en commande.

Vous êtes aussi co-fondateur de studio Biskt. Existe-t-il un lien entre ces deux projets ?
Dès la création de notre atelier de céramique, nous avons utilisés les machines de Mekanika pour introduire une dimension technologique dans notre travail artisanal. Dans un secteur aussi concurrentiel que celui de la céramique, cette hybridation de notre processus de fabrication reste notre atout majeur.

Cette année, avec Mekanika, vous serez à Milan à l’occasion de la Design Week. Qu’attendez-vous de ce rendez-vous ?
Pour nous, c’est une première qui, nous l’espérons, nous amènera de nouveaux partenariats et des opportunités de développement. Grâce au projet européen WORTH qui soutient les petites structures dans leur projet d’innovation, nous allons d’une part présenter le projet dans son ensemble, mais aussi plus spécifiquement une machine destinée au recyclage de la fibre textile.

Quels sont vos objectifs à court terme pour Mekanika ?
Actuellement, nos plus gros marchés sont la France, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie. Notre objectif n’est pas forcément de viser le bout du monde. Nous souhaitons plutôt capitaliser sur notre mission – rendre l’outil accessible au plus grand nombre -, mais aussi continuer à assurer un service après-vente le plus optimal possible et agrandir l’équipe. Nous espérons en effet employer 20 personnes d’ici la fin de l’année 2025.