Après un début de carrière dans la presse mode, elle est aujourd’hui general manager de l’agence Dominique. Observatrice attentive des changements qui s’opèrent actuellement dans ce secteur, Odile Farber est avant tout une passionnée, conscientisée aux enjeux du métier de mannequinat, en renouvellement permanent.
Des filles noires ou asiatiques, des femmes rondes, des influenceuses … Une agence 2.0, l’agence Dominique n’est plus une galerie de mannequins aux normes de beauté standardisés. Quand est-ce que le mannequinat a fait son virage vers d’autres horizons ?
Le changement s’est fait graduellement. L’idée de développer un pôle dédié aux filles plus rondes, je l’avais depuis longtemps, mais aujourd’hui, à l’agence, cette facette de notre activité a gagné en importance. Avant, ce type de profils n’intéressait que certains marchés, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les États-Unis. Aujourd’hui, d’autres pays leur emboîtent le pas. Dans ce domaine, l’évolution est exponentielle, y compris pour les campagnes et les défilés. Quant à la mixité, elle résulte en grande partie des récentes campagnes de type #blacklivesmatter. On constate aussi une présence accrue des filles asiatiques sur les catwalks. Elles sont parfois jusqu’à dix sur un seul défilé. Ce changement est ultra-positif. Le fait de pouvoir travailler avec des filles aux personnalités et cultures différentes est source de richesse.
Vous avez développé Agent Russe, un département dédié au Street Casting. En quoi consiste-t-il ?
L’une de nos collaboratrices est directrice de casting. C’est elle qui parcourt le pays à la recherche de profils atypiques. Ces gens que nous repérons dans la rue travaillent dans le cadre d’une mission spécifique, le plus souvent dans la publicité.
Cette diversité au sein de l’agence vous a-t-elle été utile ces derniers mois ?
À l’issue du premier confinement, elle nous a en effet permis de continuer à travailler. Pendant plusieurs mois, les filles qui, d’habitude, cartonnent à l’international pour des défilés ou des photos ont été à l’arrêt. Aujourd’hui, elles peuvent à nouveau voyager sous certaines conditions. Sur certains défilés internationaux, les marques travaillent cependant avec un quota minimum de mannequins sans devoir en engager jusqu’à près d’une centaine. Je parle ici des défilés virtuels. Cette saison, Covid oblige, il n’y a en effet pas eu de défilé public.
Vous travaillez à l’agence Dominique depuis 30 ans. Quels sont les changements les plus importants qui ont été opérés dans ce secteur très médiatisé ?
La digitalisation de la mode, sans aucun doute. Lorsque les premiers sites d’e-commerce ont vu le jour, certaines filles refusaient ce type de contrats. Aujourd’hui, ces sites sont de gros clients pour les agences. Suite à la crise du Covid, les marques qui ont pu vendre en ligne sont d’ailleurs celles qui sortent le mieux leur épingle du jeu. La digitalisation du métier a aussi rendu la communication plus fluide et directe. Auparavant, on envoyait le book d’une fille au client par coursier. Aujourd’hui, on demande aux mannequins de prendre quelques photos d’elles dans leur salon. Le client les reçoit dans la foulée. On remarque aussi que les petites marques, mais aussi les grands groupes internationaux, se libèrent peu à peu du diktat des saisons. Pour faire face à la concurrence de la « fast fashion », ils doivent, eux aussi, proposer des collections plus contenues et davantage de capsules saisonnières.
Sur le site de l’agence Dominique, vous mettez les hommes et des femmes en garde contre les mauvaises pratiques en vigueur dans le secteur.
Nous avons toujours protégé nos mannequins. En ce qui me concerne, je suis surtout préoccupée par la présence de ces pseudo-agences qui tentent de faire croire aux jeunes filles et garçons qu’en payant pour un book, ils deviendront mannequins. Les gens pensent, à tort, que ce métier est facile et lucratif. Or, depuis la crise de 2008, tout a changé. Non seulement les carrières sont courtes, mais les contrats sont de moins en moins intéressants financièrement. Tous les jeunes mannequins rêvent de faire une campagne pour Prada. Pourtant, les tarifs proposés par les marques de luxe sont loin d’être impressionnants. L’ère des modèles ‘stars’ est finie depuis longtemps
Vous êtes à l’affut des nouveaux visages de la mode, mais vous suivez aussi les créateurs, les photographes et les maquilleurs belges qui comptent. Quel regard portez-vous sur la création en Belgique ?
Nous avons la chance de disposer de deux écoles de mode qui forment de très bons designers. À l’international, notre renommée n’est plus à faire avec La Cambre Mode(s) et l’école d’Anvers. Malheureusement, on constate que pour les stylistes, il est souvent plus simple de faire carrière à Paris. Les photographes, même les plus brillants, ont de plus en plus de mal à se faire une place. La fracture numérique a brisé la magie du métier. Dans le temps, créer un bel éclairage était une gageure. Aujourd’hui, certains photographes ne s’embarrassent plus de ce type de préoccupations puisque tout peut être retouché numériquement. Pour les maquilleurs, il est aussi de plus en plus difficile de se faire une place. En Belgique, les équipes sont très soudées. D’un côté, c’est une bonne chose, mais pour les nouveaux talents, trouver des collaborations est loin d’être évident. De manière générale, la mode s’est fortement standardisée. Nous sommes entrés dans un système normatif. La mondialisation a contribué à uniformiser les vêtements, les photos, l’agencement des boutiques… La créativité existe encore dans la haute couture, heureusement.
La pandémie a fortement impacté la croissance de la mode. Comment envisagez-vous l’avenir ?
Juste après le confinement, beaucoup de filles ont commencé à se photographier chez elles. Un vent de liberté a soufflé sur les castings. Le succès des filles rondes est, à mon sens, une conséquence positive de la crise. Actuellement, nous développons d’ailleurs un pôle « plus size » pour les garçons en espérant qu’il rencontre le même succès que son équivalent féminin. En tant qu’équipe, nous avons aussi dû nous serrer les coudes, nous réinventer, faire preuve de flexibilité. Cette expérience a renforcé les liens qui nous unissaient déjà.