Lauréat du prix WBDM récemment décerné dans le cadre de la 17è édition du prix Tremplin, un concours annuel s’adressant aux créateurs diplômés d’une École d’Art de Wallonie et de Bruxelles, le designer Yoann Piccardi (27 ans) nous a livré sa vision singulière et très engagée de la création 2.0. A mi-chemin entre art, artisanat et design, son projet EggwaveWorkset donne à la notion de réemploi une dimension poétique.

Il aurait pu devenir artiste plasticien, graphiste, sérigraphe, voire créateur de mode. A moins de 30 ans, ce Grenoblois formé à La Cambre – et désormais installé à Bruxelles – a d’abord suivi un cursus en arts appliqués avant de se diriger vers des études d’art plastique. Mais c’est finalement à son arrivée en Belgique, lorsqu’il s’est inscrit à La Cambre pour y entamer un Master en design textile, qu’il a trouvé sa voie.

Après mes 3 ans aux Beaux-Arts de Montpellier, j’ai ressenti le besoin de revenir vers davantage de technique. C’est en me réappropriant les outils d’un ancien atelier de sérigraphie situé dans un village de la Drôme que j’ai eu un déclic. C’est là que je me suis intéressé d’encore plus près à la notion de réemploi et de transformation de la matière. L’écologie a toujours joué un rôle central dans ma vie. En première année de Master, nos cours portaient sur l’expérimentation autour du carton. En réfléchissant à la transformation de ce carton en matière textile, j’ai renoué avec l’univers de l’art appliqué. Du point de vue du processus et de la philosophie de travail, je me suis enfin senti en accord avec moi-même. En troisième année, j’ai étendu mes recherches et adopté une démarche artistique globale qui englobe le design, le textile et l’architecture.

Eggwave Workset est une filière artisanale de réemploi qui semble réunir toutes les facettes de votre démarche.

Je suis conscient du caractère quelque peu utopique du concept, mais ça ne m’empêche pas d’y croire. Je suis convaincu qu’en poursuivant mon travail et en m’impliquant dans la transmission de savoirs, je peux éveiller les consciences et offrir de nouvelles perspectives à des personnes en reconversion ou en quête d’un projet qui a du sens, mais aussi, à mon niveau, élargir encore mon champ d’expérimentation en développant de nouveaux gestes adaptés aux concepts que j’ai envie de créer. C’est pourquoi j’ai choisi, par le biais de Creative Commons (une association internationale qui facilite la mise à disposition d’informations par le biais de licences créatives, ndlr.), de partager mes recherches en offrant la possibilité aux gens que ma démarche intéresse, de s’approprier mes techniques de réemploi.

Vous travaillez au sein de la Micro Factory, un atelier partagé situé à Bruxelles qui a pour vocation de devenir une micro-industrie, à l’origine de petites séries centrées sur les notions de local, d’artisanat et de réemploi. En quoi ce lieu de travail a-t-il influencé votre pratique?

La filière que j’ai initiée pendant mes études a pour objectif de transformer des plateaux alvéolaires (des cartons d’œuf en cellulose moulée que j’ai, dans un premier temps, collectés sur le marché des Tanneurs) en modules prêts à l’emploi. Si l’un de mes objectifs est de sensibiliser les gens au réemploi, au respect de la matière et aux pratiques écologiques et sociales, j’ai développé quelques applications plus pratiques. J’ai notamment conçu un plafond acoustique pour un restaurant à Dunkerque. J’ai aussi présenté certaines pièces (des assisses transformables, mais aussi un paravent) qui ont été montrées lors d’expositions. A ce niveau, j’élargis ma démarche en lui donnant une résonance plus artistique puisque je travaille aussi sur la couleur. Pour moi, le vrai luxe réside dans cette résilience positive et dans l’éveil des consciences. En donnant libre accès à ma filière, j’inspire les gens, qu’ils soient eux-mêmes makers ou simples amateurs de design, voire collectionneurs, à trouver des plans B, à la fois plus sociaux et écologiques, mais aussi ludiques et collaboratifs.

Le prix décerné par WBDM consiste en un accompagnement qui va vous aider à développer votre projet sur une année en favorisant les mises en relation et votre présence lors d’exposition internationales. Et pour vous, que représente ce prix ?

Je me donne 10 ans pour poursuivre mes recherches sur cette filière et ses possibles débouchés. Une participation à des foires internationales, comme celle de Milan par exemple, permet de changer de milieu et d’amorcer des rencontres positives. Je me suis toujours considéré comme chanceux d’être totalement libre dans ma pratique. Si j’échafaude sans cesse de nouveaux projets, j’ai besoin de temps pour les mettre en œuvre. Avec cette filière qui consiste à transformer une fibre en surface souple et adaptable, mon champ d’action est infini. L’un de mes objectifs consiste, par exemple, à concevoir un auvent extérieur, mais j’en ai beaucoup d’autres !