(Re)découvrir l’Histoire avec Unfold

(Re)découvrir l’Histoire avec Unfold Design Studio

Categorie: Interviews
Date de publication:
Claire Warnier and Dries Verbruggen. Photo Ringo Gome

“Designer de l’année” en 2018, le duo belge Unfold poursuit son exploration singulière du design par la conception digitale et sous le spectre de l’Histoire. Entre leurs collaborations avec le monde du luxe ou encore celui de la beauté, il inaugure le dernier chapitre de leur projet “Atlas of Lost Finds” qui l’emmène jusqu’en Amazonie. Cofondatrice du studio avec Dries Verbruggen, Claire Warnier nous éclaire sur cette aventure.

L'artisan électronique - © Z33 - Photo Kristof Vrancken
L'artisan électronique © Z33 - Photo Kristof Vrancken
Vous avez cofondé Unfold Design Studio il y a tout juste 20 ans. Que retenezvous de vos expériences jusqu’à présent ?

Notre dynamique a évolué depuis 2002 et notre travail a considérablement gagné en précision. Avec les années, nous avons trouvé un équilibre qui nous convient entre les projets pour le grand public et d’autres plus expérimentaux. Nous avons grandi dans la tradition créative néerlandaise initiée par Droog Design, qui a dressé des ponts entre le conceptuel et l’industriel, et nos études aux PaysBas à la Design Academy Eindhoven nous ont appris à rester indépendants tout en défendant une vision artistique auprès de clients pour des besoins marketing ou commerciaux.

Qu’observez-vous autour de vous depuis ce moment ?

Entre-temps, le monde a changé et l’urgence climatique a sonné. Fabriquer quelque chose n’est plus aussi anodin qu’auparavant et chaque production doit au mieux être porteuse de sens ou appeler à une action positive en faveur de l’environnement ou de la société. Le changement de mentalité des designers est désormais un fait : les jeunes designers ne sont plus si impatients que ça de démarrer leur propre studio. Ils commencent donc par travailler ensemble, en collectif, ou intègrent des entreprises afin de se former sur le tas.  

Skafaldo Bowl © Kristof Vrancken
Avec ce recul, comment résumeriez-vous aujourd’hui la raison d’être de Unfold Design Studio ?

Nous proposons une approche artistique du design artisanal, industriel et scénographique, des contextes de la fabrication jusqu’à ceux de la distribution, en lien avec des sujets de société ou en se penchant sur l’Histoire des objets. Au début des années 2000, nous nous sommes d’abord intéressés à la manière dont on pouvait transposer les créations du digital dans le monde réel. Ce n’était pas si facile à cette époque — les imprimantes 3D étaient chères et voyaient à peine le jour, de même que des machines open source.

Que vous apporte le travail en binôme ?

Nous formons un tandem où chacun se complète, surtout quand nous sommes à la tâche pour réaliser des installations éphémères sophistiquées comme pour l’aménagement des vitrines de la maison Hermès. Généralement, j’ai une vue d’ensemble tandis que Dries se concentre sur les détails. Pour notre premier projet pour la marque en 2020, nous nous sommes librement inspirés de notre série de meubles, d’objets de table et de luminaires reposant sur des structures imprimées en 3D et des savoir-faire artisanaux comme l’art du verre, nommée « Skafaldo » (2015-17) et nous avons pu créer des installations conçues à la fois à partir de supports élaborés en images de synthèse et de pailles en papier. L’intelligence collective est ce qui nous motive et nous apprécions la tradition d’Hermès, qui utilise et encourage l’artisanat d’une manière contemporaine.

Comment avez-vous fait évoluer la technologie de l’impression 3D ?

J’ai découvert cette technologie lors de mes études. De son côté, Dries a toujours été fasciné par les nouvelles technologies numériques et open source. C’est le type d’imprimante open source qui nous a permis de comprendre l’envers de cette technologie afin de mieux nous l’approprier et ainsi pouvoir générer des nouvelles formes à partir de celle-ci. Nous avons donc commencé par adapter le kit de développement open source d’une imprimante 3D dans le but d’imprimer de l’argile. Nous avons aussi commencé par développer nos propres logiciels afin de pouvoir utiliser autrement l’impression 3D. Cela nous a ouvert de nouvelles perspectives alors que l’impression 3D gagnait en popularité et se démocratisait peu à peu.

Certaines de vos réalisations ont fait l’objet d’acquisition par d’importants musées. Que vous apporte cette reconnaissance ?

De la confiance dans ce que nous nous attachons à réaliser, assurément. Nous sommes à la fois fiers de ceci car il s’agit de pièces qui seront conservées dans le temps et qui deviendront des modèles pour d’autres créatifs. L’édition un sur trois de la table d’appoint de la série « Skafaldo » (2015), réalisée en collaboration avec l’entreprise belge Materialise (une pionnière dans le services de l’impression 3D), qui fut récemment acquise Musée national d’art moderne de Paris, le Centre Pompidou, en est un bel exemple.

Pourquoi pensez-vous que votre travail trouve un écho international depuis votre projet L’Artisan Électronique ?

Quand ce projet — une version numérique de l’atelier de céramique traditionnel —, fut présenté au public en 2010, l’artisanat et l’industrie étaient considérés comme totalement opposés dans le milieu du design. C’est en nous liant avec l’artiste et designer Tim Knapen, vivant et travaillant comme nous à Anvers, que nous avons croisé les façons de faire manuelles et assistées par ordinateur, sans nous limiter. Pour arriver à la production de cette installation (qui a par la suite fait le tour du monde), nous nous sommes simplement reposés sur la manière dont les hommes concevaient la poterie depuis des millénaires en étudiant leurs gestes et en réfléchissant à comment les transposer dans un outil entièrement digital. La notion d’immatérialité est très discutée depuis et présente dans le débat public. Je pense ainsi que nos réalisations inspirent beaucoup parce qu’elles témoignent de moments dans notre époque et de transitions auxquelles nous, humains, faisons face.

Atlas of Lost Finds Felideo, Unfold © Claudio Freitas de Magalhães
Quels sont vos projets en cours ?

Nous venons de terminer un nouveau projet pour Hermès et nous travaillons actuellement sur la rénovation du Design Museum Gent, où nous réalisons le portail d’entrée. Nous revenons enfin sur l’étude des artefacts avec « Atlas of Lost Finds ». Une création itinérante qui utilise le numérique afin de concevoir ou reconcevoir des objets historiques totalement détruits ou altérés, afin d’en garder la mémoire et de transmettre les savoirs qui y sont rattachés.

Pourquoi la thématique de l’Histoire vous importe-t-elle tout particulièrement depuis votre œuvre Artefacts of a New History ?

Je suis tout d’abord fasciné par l’Histoire personnellement, et en tant que personne créative, et comment je fais référence à celle-ci. Après mes études à la Design Academy Eindhoven, j’ai étudié l’Histoire de l’art à l’université de Gand. Quand nous avons créé nos premières céramiques avec Dries, nous faisions presque toujours référence aux formes anciennes en la matière. Artefacts of a New History, réalisé en 2016 et vendu par la galerie Valerie Traan, consistait en un coffret de neufs impressions 3D miniatures évoquant tant des bâtiments biomorphiques utopistes que des artefacts pouvant être observés dans des musées ou encore des fossiles dans des sites archéologiques, en fut le résultat le plus probant. Grâce à celui-ci, nous avons découvert à quel point les formes géométriques les plus communes et anciennes, qui apparaissent parfois comme les plus simples, sont complexes.

Racontez-nous la genèse de « Atlas of Lost Finds » et votre action en faveur de la sauvegarde des artefacts indigènes ?

Avant les prémices de ce projet, nous étions en contact avec un scientifique du Museu Nacional de Rio de Janeiro au Brésil, qui nous parlait régulièrement des numérisations des objets de la collection de l’institution initiées par le laboratoire du musée ; des objets de paléontologie et d’archéologie classique, artefacts et œuvres remarquables des civilisations amérindiennes. En 2018, quand le musée à brûlé des suites d’un incendie, 18 millions d’objets sur 20 ont disparu. Nous l’avons donc contacté afin de savoir ce qu’il allait faire des scans de ces objets. Afin de faire revivre ces collections perdues grâce à la conception numérique, nous avons initié l’appel à projets « Atlas of Lost Finds » sur la plateforme sociale Wikifactory, qui permet d’initier des productions en mode collaboratif. Le premier fichier auquel nous avons donné librement accès fut le scan d’un étrier péruvien Filideo de la culture précolombienne Chimú (années 1 000 à 1 470). Ce projet fut lancé pendant les débuts de la pandémie de Covid-19 en 2020 et nous avons été heureusement surpris de l’engouement général ! Plus de 30 designers internationaux nous ont rejoints dans cette aventure. Le résultat de ces expérimentations est maintenant à voir en ligne sur le site internet de « Atlas of Lost Finds ».

Cela soulève des questions sur le devenir du patrimoine et la réappropriation de l’Histoire…

Le premier résultat de ce projet a prouvé deux choses : que le digital est rassembleur et porte l’humain plus haut, et qu’il est possible d’utiliser les données numériques de manière significative pour créer de nouveaux objets et reconsidérer l’Histoire avec un point de vue « décolonisé ». Pour la seconde partie de « Atlas of Lost Finds », nous nous sommes appuyés sur les urnes en céramique de la culture amazonienne disparue Marajoara acquises par des musées occidentaux. Un premier exemplaire de cet objet a été identifié à Anvers au Museum aan de Stroom (MAS). Celui-ci fut offert au gouvernement flamand par les ayants-droits de la famille d’ingénieurs en pharmaceutique Janssen. Nous avons obtenu l’autorisation de scanner cette urne ainsi que d’autres pièces similaires appartenant à des institutions européennes, comme le Musée ethnologique de Berlin. Cet été, nous nous rendrons en Amazonie, à l’endroit où ont été originellement créés ces urnes, afin de les refabriquer. Il s’agit de l’île de Marajó, où aucun indigène ne subsiste aujourd’hui, alors que le style de céramique Marajoara s’est contemporanéisé. Une nouvelle version de l’urne Marajoara sera donc réalisée à partir de l’empreinte numérique qui a capturé sa forme originale et grâce à des céramistes de la région.

Que deviendra ce nouvel artefact ?

Pour garder une trace de ce travail, nous travaillons avec le réalisateur Alexandre Humbert, l’auteur du court métrage The object becomes (2021) pour Belgium is Design. Nous irons avec lui au Brésil afin de pouvoir raconter les origines de l’urne Marajoara et l’inscrire dans son contexte car la nouvelle version de cette urne sera enterrée dans la forêt amazonienne. Nous avons déjà eu l’occasion de collaborer avec Alexandre pour A Combmaker’s Tale (2020). Une série de films qui raconte le travail du dernier fabricant de peignes existant en Croatie et du robot qui lui succède afin de préserver son savoir-faire.

Interview par

Mikael Zikos

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