Parmi les 13 lauréats du prix Tremplin 2023, une récompense accordée à des projets de fin d’étude dans le domaine du design et des arts appliqués, WBDM a choisi de soutenir le travail de la designer textile Sarah Carestia, 24 ans, jeune diplômée de l’ENSAV La Cambre. Baptisée Entre Voir, sa recherche portant sur l’utilisation du textile dans l’espace s’inscrit très naturellement dans une réflexion contemporaine sur le design d’aujourd’hui.
Entre Voir, le projet qui vous a valu ce prix, combine réflexion conceptuelle et techniques de tissage traditionnelles. La complémentarité de ces deux approches constitue-t-elle l’essence de votre démarche ?
J’ai en effet pris conscience de l’importance de me rapprocher de cette technique ancienne. Non seulement parce qu’elle me permet de perpétuer un savoir-faire rare et ancestral, mais aussi dans la mesure où mes recherches m’ont permis de transposer le tissage dans un environnement contemporain en lui attribuant de nouvelles fonctionnalités. Lorsque j’ai découvert cette technique, j’ai ressenti l’urgence d’acheter mon propre métier. J’éprouve un vrai bonheur à tisser. Ma réflexion est en outre intimement liée à ma pratique.
Qu’est-ce qui vous a guidée vers le design textile, plutôt qu’un autre médium ?
Si j’ai toujours été attirée par le travail manuel, rien ne me prédestinait à m’inscrire à la Cambre et encore moins en design textile. D’emblée, tous les cours m’ont passionnée : teinture, plissage, maille, sérigraphie et puis, cette rencontre avec l’univers du tissage. Me retrouver face à un métier en bois m’a permis de découvrir le caractère très méditatif de cette technique, mais aussi de réaliser que je pouvais adapter et personnaliser la machine en fonction de mes différents projets. Je réalise l’ensemble de mes travaux à la main. Cette approche empirique du design exige de faire preuve de beaucoup de patience, mais la démarche en tant que telle est aussi source de réflexion.
Dans votre travail, vous jouez sur les notions de vide et de plein, un concept finalement très philosophique qui invite également à se questionner sur la pertinence de l’objet.
Dans un premier temps, j’ai réalisé des pièces à l’échelle du corps. Puis, au fur et à mesure du temps, j’ai réalisé des projets plus grands en questionnant l’espace. Au-delà de l’objet en tant que tel, j’aime jouer sur le caractère philosophique qui découle d’un tissu poreux. Ce médium me permet de diriger le regard de celui qui se trouve d’un côté ou de l’autre du tissu.
Au-delà de cet aspect contemplatif – et finalement très artistique -, vous avez réfléchi à l’agencement des espaces habités : un sujet d’actualité à une époque où nous cherchons de plus en plus souvent à retrouver une intimité perdue, à cause de la promiscuité qui peut exister dans certains bureaux, du caractère exigu de nos lieux de vie, mais aussi de notre monde saturé d’images intrusives.
Au fur et à mesure que ma réflexion et ma pratique évoluent, je compte en effet tendre vers une approche plus pragmatique. Même si j’aime jouer sur la limite floue qui existe entre art et design fonctionnel et que je ne souhaite pas forcément tracer une ligne de séparation trop nette entre les deux, les applications pratiques de mes tissages m’intéressent beaucoup. Plutôt que de bâtir des parois fixes dans un espace, je trouve intéressant de permettre aux gens de s’extraire du lieu sans forcément le quitter. L’isolement est une notion subjective qui prend une signification différente en fonction des gens et des individus. La porosité de mes surfaces tissées offre cette possibilité.
En quelque sorte, vous tissez l’intimité.
Ces solutions sont modulables et faciles à installer puisqu’il suffit d’un rail de rideaux pour créer une séparation. Cette notion d’intimité est en outre accentuée par mon utilisation de la couleur qui joue un rôle fondamental dans mes recherches. Les émotions que me procurent certaines couleurs lors du processus de tissage et ce qu’elles impliquent au niveau de l’espace proprement dit font partie intégrante de ma démarche. Par exemple, lorsque j’ai tissé une grande pièce rouge pendant plusieurs jours, j’ai remarqué l’influence quelque peu négative que cette couleur a eu sur moi. De manière générale, je travaille sur les couleurs primaires, notamment le bleu que j’ai complexifié en y ajoutant des nuances de rouge, de vert ou d’orange. J’aime les contrastes et les questionnements que les couleurs me procurent.
Pour vous, que signifie ce prix et cette mise en lumière de WBDM?
C’est un encouragement, ainsi qu’un incitant à aller plus loin. J’ai envie de créer de nouvelles pièces. La démarche sera la même, mais je souhaite tester d’autres combinaisons de matières et de couleurs. Dans le futur, j’aimerais collaborer avec des architectes, mais aussi avec des scénographes. L’univers du théâtre m’intéresse beaucoup.