Diplômée de la Cambre Mode(s), la belge Sarah Levy figure parmi les dix finalistes du prestigieux festival de Hyères dans la catégorie « Accessoires de mode ». Rencontre avec une trentenaire qui pense plus loin que le bout de son gant.
L’accessoire, vous y êtes venue sur le tard. Expliquez-nous votre parcours.
Je suis à la base architecte. Un choix qui me rassurait, mais qui, déjà à l’époque, n’était pas ce qui me faisait vibrer. Les écoles de mode, et surtout La Cambre, m’impressionnaient. Je ne m’y sentais pas vraiment à ma place. À la fin de mes études, j’ai travaillé une décennie en tant qu’architecte. J’ai aussi entamé une thèse en urbanisme. Dans ce cadre, j’ai été invitée à étudier à la Parsons School of Design de New York. C’est là, au contact de deux joaillières, que j’ai découvert l’accessoire, ainsi que le travail avec les artisans. De retour en Belgique, je me suis inscrite aux Arts et Métiers. Je m’y suis formée pendant deux ans tout en terminant ma thèse. Mais après une année en tant qu’urbaniste, je me suis sentie bloquée par le côté institutionnel de la fonction. La section Accessoires de La Cambre venait de s’ouvrir. Pour moi, c’était un moyen d’amorcer un changement sans passer sans transition d’un métier à un autre. J’ai foncé.
Et cette fois, vous avez adhéré…
Nous étions seulement quatre étudiants, dont un photographe et un designer, encadrés par des professeurs fantastiques. C’est là que j’ai découvert l’univers de la maroquinerie. La première année, j’ai choisi de me laisser une liberté totale. À La Cambre, j’ai été poussée à dépasser mes propres limites, à suivre mon intuition. La deuxième année, lorsque j’ai planché sur ma collection de fin d’études, j’ai entamé une vraie réflexion sur le corps. Mon idée était de traduire, par le biais des accessoires, nos habitudes contemporaines. J’ai réfléchi sur ces objets du quotidien devenus nos nouveaux fétiches : le smartphone, la cigarette électronique… Des objets qui ont engendré une nouvelle gestuelle. Mon but n’était pas de critiquer ces manies, mais plutôt d’imaginer des accessoires en phase avec nos ‘rituels’ de vie
La collection s’appelle d’ailleurs Creatures of Habits…
Ces accessoires ont modifié notre posture et notre morphologie. J’ai donc créé des prothèses qui, d’une part, soulagent nos gestes quotidiens et, d’autre part, soulignent le côté obsédant de ces addictions. J’ai travaillé avec un prothésiste et un orthopédiste. Mes recherches m’ont notamment amenée à transposer les techniques de prothèses dans le registre de la maroquinerie et plus précisément de la ganterie. J’ai par exemple imaginé un long gant en cuir cousu à une coque de téléphone portable. Toute ma collection repose sur cette ambiguïté entre confiance et contrainte. J’ai eu la chance de collaborer avec la ganterie française Lavabre Cadet qui m’a aidée à réaliser certaines des sept pièces de cette collection. Le fait de travailler sur le gant, un objet souvent considéré comme désuet, mais qui repose sur un vrai savoir-faire, m’a également beaucoup intéressée.
Cette collection a conquis le jury du festival de Hyères qui, on le sait, est un tremplin incroyable pour les créateurs. C’est ce qui vous a donné envie de poser votre candidature ?
Hyères est un lieu d’expression fantastique pour tout jeune créateur. Les gens que l’on croise lors de ce festival envisagent la mode avec intelligence. Lorsqu’on s’inscrit dans une démarche qui n’est pas du tout commerciale, faire partie des finalistes de ce concours représente une opportunité immense.
Vous êtes basée à Bruxelles. Revendiquez-vous cet ancrage belge ?
Déjà lorsque j’étudiais l’architecture, je me sentais très ancrée dans le pays. Faire partie de cette dynamique belge et pouvoir travailler à Bruxelles me plait beaucoup. Je ne revendique pas cette appartenance, mais j’espère pouvoir construire un projet ici sans forcément devoir déménager à Paris.
Vous sentez-vous proche d’un créateur belge en particulier ?
Je travaille avec Ester Manas qui a été également finaliste à Hyères dans la section mode l’an dernier et pour qui je dessine des accessoires. Le fait de grandir ensemble et d’œuvrer à un projet commun est très enrichissant. Pour la suite, je ne ferme aucune porte. Découvrir le fonctionnement d’une grande maison m’intéresserait beaucoup. Tout comme le fait de collaborer avec d’autres créateurs dont je partage la vision. Créer ma marque n’est en tous les cas pas une fin en soi.