Susanna Campogrande : le regard affûté d’une pionnière sur l’écoconception
Susanna Campogrande portrait

Susanna Campogrande
le regard affûté d’une pionnière sur l’écoconception

Categorie: Interviews
Date de publication:
Patère Astro - Aller-Retour © Lise Casalegno Marro

Architecte, enseignante et aussi formatrice, les casquettes ne manquent pas à Susanna Campogrande. Consultante en innovation dans l’industrie pour Wood.be est celle qui la caractérise le mieux, considérant son expertise dans les matériaux innovants, le partage des ressources et le design. Un secteur où l’adaptation à la transition écologique se précise de plus en plus.

Aller-Retour, Lise Casalegno Marro & Susanna Campogrande © Max Tomasinelli
D’où vient votre pluridisciplinarité et comment vous permet-elle de répondre à des questionnements et des besoins bien réels ?

Mon regard d’architecte me permet de contextualiser au mieux les idées avant leur stade de conception, d’aller à l’essentiel. Ma formation au métier à l’École polytechnique de Turin m’a tout d’abord permis de comprendre comment un projet complexe se crée et se gère et ce, dans la sphère de l’habitat, jusqu’à la mode et même l’automobile, des scenarii d’usage à la production en passant par le choix des matériaux. À la sortie de ces études, j’ai vécu à Paris pendant dix ans. J’y ai coordonné l’Innovathèque : la première matériauthèque pour les professionnels du design à voir le jour en Europe. Je me suis ensuite installée à Bruxelles. Depuis, j’ai eu l’occasion de livrer plusieurs projets entre l’architecture d’intérieur et le design, aux côtés de l’agence Arch & Types et le studio de création Aller-Retour (que nous avons fondé avec Lise Casalegno Marro).

Workshop design school ESADSE - Lyon. © Arba-Esa
Vous enseignez également l’actualité du design et le design textile à l’Académie Royale Beaux-Arts de Bruxelles-École Supérieure des Arts (ARBA-ESA).

À Bruxelles, j’avais déjà eu l’occasion d’enseigner à L’École nationale supérieure des arts visuels (ENSAV) de La Cambre ainsi qu’au College of Art & Design (CAD). À l’ARBA-ESA j’intègre l’équipe pédagogique du cursus de design textile pour le suivi des Masters et je donne un cours transversal sur l’actualité du design. L’audience à laquelle je m’adresse n’a pas forcément une vue d’ensemble et concrète du monde de l’industrie du design lors de leurs études. C’est justement ce qui m’intéresse afin de pouvoir parler d’innovation en théorie et dans les faits.

Matériauthèque Be.materials - Wood.be. © Wood.be
Qu’avez-vous appris à l’Innovathèque, un « incubateur d’innovation » avant le mot ?

Que la technologie et les nouveaux matériaux permettent d’innover profondément et durablement. La bibliothèque de matériaux est un lieu où l’on source, sélectionne, référence et montre des échantillons de matériaux à caractère innovant, en dehors de leur contexte d’usage, pour inspirer et stimuler les transferts technologiques (l’appropriation par un acteur industriel d’une technologie en provenance d’un acteur public ou privé). Elle réunit un public de designers, d’architectes, prescripteurs, entrepreneurs qui viennent y chercher des idées pour leurs projets. C’est ce processus de découverte et d’échange qui s’appuie sur des composants potentiellement innovants que j’essaie de mettre en place dans mes activités afin que celles-ci puissent déboucher sur des résultats et faire, tout modestement dit, évoluer le monde de la production.

Comment accompagnez-vous vos étudiants aujourd’hui ?

Je prends appui sur mes expériences, ma pratique auprès des mondes institutionnels et de l’entreprise, pour apporter une clé de compréhension aux étudiants — comment innover de nos jours. Un projet est-il faisable techniquement, financièrement, dépend-il d’un nouveau brevet, d’un accès à un sourcing proche ou éloigné du site de production ? Je tente de préciser les tendances actuelles auxquelles beaucoup d’étudiants sont sensibles, et d’apporter des réponses à ces questions. Je les forme à la « culture circulaire » et les oriente par exemple vers le recyclage des matières ou la création de nouvelles, car même avec l’avènement de la digitalisation et de la dématérialisation qu’elle induit, le matériau est la base de toute création tangible.

Matériauthèque Be.materials - Wood.be. © Wood.be
Qu’en pensent les entreprises ?

Les industriels sont intéressés par la nouvelle génération et leur approche des choses et se tiennent toujours prêts à former ces nouvelles têtes mais redoutent souvent de ne pas avoir les bons outils à disposition pour innover, ou une vision tenable à long terme. Le marketing n’a pas la réponse à tout. Aujourd’hui, de nouvelles entreprises fleurissent pour répondre à la demande de produits écoresponsables, qui est croissante, beaucoup d’autres s’adaptent. Plusieurs success stories sont à noter, ce qui est motivant, mais l’ère de forte consommation dans laquelle nous nous trouvons profite encore beaucoup au greenwashing qu’à de réelles adaptations et changements de la part des industries dites polluantes.

La mode est souvent pointée du doigt pour son artificialité mais il y a récemment eu changement de paradigme en son sein et ceci grâce à sa soif de créer par le textile.

Oui, cependant l’écodesign à grande échelle demande des moyens économiques certains. Rien n’est impossible : il n’y a qu’à voir Adidas, qui expérimente avec des baskets tout aussi performantes que leurs modèles habituels mais entièrement circulaires ; 100% recyclables et réutilisables une fois usées afin d’être réduites à l’état de granules pour fabriquer de nouvelles chaussures.

Workshop © Wood.be
Comment cette approche cradle-to-cradle s’implémente dans le secteur de l’habitat ?

Ce mode de production industrielle qui permet de créer un impact positif sur la nature mais aussi sur l’humain et sa responsabilité dans la société, de faire de la fin de vie d’un produit un atout à la fois anti-déchet et pour l’innovation, a son propre label intitulé C2C. Cette démarche est plutôt complexe (et chère), mais réalisable. Certains modèles d’entreprise en place ne permettent pas d’embrasser ce type de production et demandent à être totalement revus. Parfois, des produits ont été écoconçus et sont réparables, mais des failles dans le modèle économique de l’entreprise ne permettent pas cette circularité.

L’e-commerce a-t-il favorisé la visibilité de ce type d’initiative ?

Tout est une question d’échelle, à la mesure des entreprises, de leurs budgets et de leur influence… La location de produits et la vente de ceux de seconde main par les marques elles-mêmes (à l’instar de ce qu’offre IKEA), vont également ouvrir la voie à d’autres multinationales jusqu’ici réticentes de s’engager. Reste aux infrastructures et administrations de s’adapter car des modes de production et de vente de ce type reposent sur des chaînes d’interlocuteurs variées et sur plusieurs territoires, ce qui peut être ingérable pour les entreprises à taille humaine. Pour elles, les questions de la traçabilité des matériaux et des produits et la logistique inversée sont des problématiques cruciales.

Matériauthèque Be.materials - Wood.be. © Wood.be
Comment les services que vous proposez permettent de sensibiliser les start-ups, petites et moyennes entreprises ?

Chez Wood.be, nous accompagnons des projets prioritairement belges et à ambition durable dans le secteur du bois et de l’ameublement. Les thématiques qui intéressent le plus les industriels en ce moment sont l’économie circulaire et la transformation digitale, le tout au support de l’optimisation de la production évidemment. En un mot, nous supportons la transition vers l’industrie 4.0. Je travaille dans l’équipe Innovation en tant que coordinatrice de projets et facilitatrice de groupes de travail… Nous étudions l’evolution du marché du meuble et proposons reportages sur les tendances et des veilles thématiques.

Comment cela se traduit-il de votre côté, du design thinking à l’action ?

La technique dite du design thinking n’est qu’une méthode de travail comme beaucoup d’autres. Dans mon cas, quand j’anime des workshops par cette technique, je mets en pratique ma connaissance des secteurs de l’ameublement et de la construction. J’ai récemment animé un atelier auprès d’une entreprise à Liège spécialiste de la construction en bois. La proposition d’un guide sur l’éco-design spécifique à ce secteur et cet atelier ont généré plusieurs nouvelles idées à mettre en place pour celle-ci.

Workshop © Wood.be
Comment réagissez-vous face aux récentes annulations et reports en cascade de plusieurs salons professionnels ?

Cela est dû à plusieurs facteurs. Premièrement, de plus en plus de ventes se font directement par la marque (ceci est le cas pour les nouvelles marques dépendantes uniquement de leur e-shop, sans point de vente extérieur). Aussi, les derniers intermédiaires entre celles-ci et les consommateurs ont été considérablement réduits : communicants, agents commerciaux mais aussi showrooms et donc salons et foires, ce qui va certainement s’accélérer et ancrer une nouvelle réalité avec des réinvestissements vers des supports de marketing, de communication et d’achat-vente principalement digitaux et une valorisation d’évènements plus locaux que globaux et ciblés. Mais jamais rien ne remplacera l’échange humain entre les apprentis, les marques naissantes, les créateurs établis et les mastodontes des secteurs de l’industrie du monde qui se rencontraient dans ces événements internationaux, comme le Salon du meuble de Milan ou encore Maison&Objet à Paris. Les relations en présentiel permettent d’établir des liens humains durables, au-delà du plaisir d’échanger autour d’un apéro ou d’un café…

Comment faire donc durablement évoluer la production industrielle par l’innovation ?

Par le dialogue et le contact humain, assurément.

Interview par
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wood.be

Académie Royale des Beaux Arts de Bruxelles (Arba-ESA)
Design Textile ARBA-ESA

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