Française d’origine, implantée à Saint-Étienne et internationale de cœur, la nouvelle présidente du BEDA — le Bureau of European Design Associations dont Wallonie-Bruxelles Design Mode est membre —, ne réunit pas seulement les agences européennes autour de la promotion de la créativité partout en Europe. Elle participe activement à la mise en œuvre du New European Bauhaus. Un programme dans le prolongement du Pacte vert pour l’Europe et qui milite pour un nouvel art de vivre non seulement esthétique mais aussi durable et inclusif. Isabelle Vérilhac explique sa vision et cet engagement pour le futur.
Vous avez travaillé dans le domaine des nouvelles technologies et des soins à la personne jusque dans la recherche et l’innovation dans les collectivités. Parlez-nous de votre expérience qui concilie développement sociétal, économique, et territorial.
J’ai une formation d’ingénieur et un doctorat en physique-chimie en matériau en France, et j’ai toujours voulu « faire du design ». En quelque sorte, les matériaux sont la base de cette pratique. J’ai pour ainsi dire toujours eu la fibre créatrice. J’ai d’abord œuvré dans le secteur du traitement de surface, puis en laboratoire où j’ai eu une première expérience dans une usine à casques de vélo. J’ai ensuite repris mes études en m’inscrivant à l’École Supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne (ESADSE), ce qui m’a permis de participer aux biennales de design de Saint-Étienne au début des années 2000. Chaque année, je trouvais un prétexte pour y exposer. J’y ai ainsi commencé à développer des actions associant design et santé avec le Pôle des Technologies Médicales, cluster régional, en y associant chercheurs, entreprises et designers. En 2004 était né le Janus de la Santé, en collaboration avec l’Institut Français du Design, une déclinaison des récompenses du label français qui célèbre «les entreprises et les collectivités qui s’inscrivent durablement dans une démarche de progrès au service de la personne, l’industrie et la cité » (sic). Enfin, j’ai fini par intégrer la Cité du design en 2007 afin d’en développer le volet entrepreneurial.
Quelle est la particularité de la ville française de Saint-Étienne dans le secteur du design ?
Depuis 2010, Saint-Étienne est membre du réseau des villes UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture). La Cité du design, qui a pour but de sensibiliser tous les publics au design, occupe un site architectural historique dans cette ville de la région de la Loire. Elle est située sur le terrain de l’ancienne Manufacture d’armes de Saint-Étienne. Cet organisme repose avant tout sur l’ESADSE, inauguré en 1803. Il s’est ensuite développé en un établissement à financement public avec un volet culturel, porté par la Biennale de Saint-Étienne, puis économique avec la Cité du design. C’est un écosystème transversal qui associe à la fois étudiants, enseignants, chercheurs, entreprises et designers.
Comment en êtes-vous venue à intégrer le Bureau des associations européennes de design qu’est le BEDA ?
J’ai intégré le board du réseau européen des organisations de design du BEDA en 2014 afin d’étendre à l’international la stratégie à laquelle j’avais participé à Saint-Étienne. À la Cité du design, j’ai développé le pôle entreprises et innovation avec la création d’outils comme le LUPI, un laboratoire des usages et des pratiques innovantes, ou comme le centre de ressources en matériaux. J’ai ensuite pris la succession de la direction internationale du lieu dans le but de développer une stratégie internationale en s’appuyant sur des méthodologies applicables aux collectivités publiques comme celles de l’IDeALL (Integration Design for All in Living Labs), dont l’objectif est d’apporter de l’innovation sociale par le design, et développer des partenariats avec des organisations étrangères.
Le BEDA est né d’un besoin de reconnaissance du design dans la sphère industrielle mais aussi des politiques publiques et du citoyen. Quelle est aujourd’hui sa finalité ?
Elle est de faire des actions de lobbying et d’écrire des propositions pour l’Europe, au centre desquelles le design est un outil clé. Ce « bureau » fut créé en 1969 à partir d’un regroupement d’associations de designers pour répondre à des besoins d’échange et mutualisation des compétences. Petit à petit, des centres de design les ont rejointes et aujourd’hui, les centres de recherche en design et innovation, des agences publiques en font partie. Sa finalité reste donc la même et a évolué : répondre aux problématiques sociétales, faire grandir l’humain, et apporter des solutions écologiques afin de faire évoluer les comportements et modes de vie, en s’appuyant sur le design comme discipline et mode de pensée. Plus de 51 membres de 26 pays différents sont maintenant présents au sein du BEDA, dont le siège social est basé à Bruxelles.
Quelle est votre action au sein du BEDA ?
Faire en sorte que le design soit intégré dans la politique européenne. C’est pourquoi le BEDA organise des forums biannuels, une fois chez les membres de l’organisation, comme Wallonie-Bruxelles Design Mode, et une fois auprès de la Commission européenne. Aussi, le nouveau programme des Open Doors Dialogues qui fut inauguré lors des débuts de la pandémie du Covid-19 a permis d’échanger sur la propriété intellectuelle et l’économie circulaire.
Quelle est l’évolution de l’Europe par rapport au design ?
La discipline du design, au sens le plus large possible, sa diversité, est enfin comprise à juste titre. Elle est présente dans tous les pans de l’activité économique des pays de l’Union Européenne, pas seulement en tant que productrice de nouveaux produits mais aussi en tant que source de services innovants et de solutions de management par exemple. Le « design » et tout ce qui se rattache à lui s’est imposé comme un outil concret et un mode de pensée à la dimension participative. C’est ce que le New European Bauhaus cherche à développer aujourd’hui.
Quelle est l’innovation majeure apportée ce « nouveau Bauhaus européen » ?
Celle d’être un projet participatif global, piloté par la présidente de l’Union Européenne Ursula von der Leyen. C’est en réalité un moteur pour le Pacte vert pour l’Europe, qui vise à faire de l’Europe le « premier continent neutre pour le climat » (sic). C’est à partir des propositions citoyennes existantes puis des tables rondes d’experts et de partenaires que les appels à projets sont en cours de définition.
Quel est son lien avec le Bauhaus original du 20ème siècle ?
Comme le mouvement de l’école de Bauhaus allemande, qui promouvait une union entre tous les arts et l’industrie avec une finalité sociale, ce « nouveau » Bauhaus du 21ème siècle fait la promotion de l’interdisciplinarité et de la transformation positive. Nous souhaitons que ce soit un mouvement de fond qui permet de faire le pont entre créativité, technologie mais aussi nature.
Que retenez-vous des 20 projets lauréats des New European Bauhaus Prizes ?
Les jeunes talents européens de moins de 30 ans qui ont participé à ce concours (la commission a reçu près de 2 000 propositions en tout), ont leur esprit centré sur les modes de vie territoriaux en commun et à faible empreinte écologique, au-delà de l’architecture, le bâtiment et le design produit. Il transparaît derrière chacun de leurs projets une volonté forte de faire et une envie véritable de participer à construire le monde de demain.