Si une seule constatation s’impose à l’issue de la dernière édition de la Fashion Week de Paris, il s’agit de la confusion qui règne dans l’industrie de la mode. En effet, la plupart des créateurs ne savent pas s’ils sont engagés pour générer du battage publicitaire et du contenu pour les réseaux sociaux ou bien pour fabriquer de vrais vêtements que chacun d’entre nous portera.

Comme le dit le proverbe, celui qui crie le plus fort a toujours raison, mais les créateurs ne devraient-ils pas être choisis pour leur créativité, leurs compétences techniques ainsi que leurs solides compétences en design, plutôt que pour leur profil Instagram, les célébrités dans leur entourage et leurs contacts privilégiés ? À moins que le problème ne vienne de la façon dont nous définissons le « talent » de nos jours, au moyen d’une série de chiffres et d’une capacité à faire du buzz et à choquer au quotidien ?

Les créateurs belges n’ont jamais été adeptes du divertissement, ils sont réputés pour leur discrétion. Même les plus radicaux ont tendance à garder une vision très terre-à-terre et le travail qu’ils défendent reflète une certaine réalité. Bien sûr, les défilés de mode peuvent être des spectacles à part entière, mais notre attention ne devrait pas être détournée des vêtements en tant que tels, car, au final, ils restent essentiels.

Lorsque le créateur bruxellois, Anthony Vaccarello a présenté sa magnifique collection automne-hiver 2022, plutôt minimaliste, pour Saint Laurent, il a fait passer un message fort sur la valeur de l’artisanat et sur la nécessité de se recentrer sur la beauté des vêtements en tant que tels plutôt que sur le marketing. Cette fois, sa déclaration était tout aussi cohérente grâce à sa collection axée sur le « power dressing » et les tailleurs jupes. Les tailleurs font-ils leur grand retour ? Nous nous lassons sans aucun doute des tenues « sportswear » traditionnelles, mais Anthony Vaccarello se montre plus audacieux en présentant des vêtements aux épaules surdimensionnées et aux proportions spectaculaires. Bien que certaines pièces semblent extrêmes, elles sont néanmoins parfaitement réalisées. Elles nous donnent envie de nous remettre sur notre trente et un et de nous présenter sous notre meilleur jour. Des épaules nettes en temps de crises et d’incertitudes économiques sont toujours indispensables. Pensez par exemple aux années 1940, lorsque les vêtements de l’après-guerre étaient en effet caractérisés par des épaules carrées.

En présentant un des défilés les plus émouvants de l’édition, le créateur belge, Dries Van Noten a souhaité repenser les années 1990, et plus particulièrement certaines créations de son confrère Martin Margiela, dont l’entreprise et l’atelier ont été fondés à Bruxelles. Les tailleurs à fines rayures, le « menswear » et les pulls en patchwork évoquent Martin Margiela, ainsi que sa recherche constante de vêtements vrais et authentiques, un aspect que Dries Van Noten comprend parfaitement. Beaucoup oublient que M. Margiela était en fait un des premiers créateurs à avoir recyclé les vêtements et à les avoir intégrés dans ses collections, ce qui a suscité un véritable choc pour la presse et les acheteurs à la fin des années 1980.

Si Dries Van Noten parlait d’intimité en coulisses et de sa volonté d’explorer la relation personnelle que nous entretenons avec certains vêtements que nous apprécions, ses tenues étaient une ode à l’artisanat, à l’intemporalité et à une certaine mélancolie spécifique à la Belgique. Les touches d’or précieux et les motifs floraux fanés apportaient une touche artistique, tandis que les robes coupées en biais nous ramenaient à la grande époque de John Galliano (directeur artistique de la Maison Margiela) et à sa représentation de la vulnérabilité féminine. Dries Van Noten sait parfaitement comment équilibrer la brutalité et la douceur, la masculinité et la féminité, la simplicité et le raffiné. De plus, tout ce qu’il présente est fabriqué. Il vous suffit donc d’aller faire un tour dans son showroom pour vous rendre compte de l’ampleur de ses collections, il y propose des centaines de pièces pour permettre aux acheteurs de donner lieu à leur propre interprétation.

Le même principe de réalité s’applique à la vision de Nicolas Di Felice pour Courrèges. En l’espace de quelques saisons, il a réussi à rendre la marque attractive et intéressante pour la jeune génération. Il propose également des défilés qui suscitent la réflexion. Cette saison, le créateur belge s’est intéressé à la façon dont le fait de tenir son téléphone modifie notre posture. Le langage corporel ne peut être dissocié du vêtement et il a proposé de brillantes réinterpretations du sweat à capuche classique en maille transparente, ainsi que des vêtements sur mesure dont les épaules semblent poussées vers l’avant, une reformulation contemporaine de la passion d’André Courrèges pour l’architecture. Di Felice comprend parfaitement l’essence de Courrèges, un mélange de rigueur, d’humour et d’optimisme.

Christian Wijnants a quant à lui fait l’impasse sur le défilé durant cette édition, mais a préféré faire une présentation sur place. Son entreprise se développe au fil des années et les raisons de son succès sont évidentes. Les pièces de Christian Wijnants sont simples et confortables, en particulier ses tricots, qui étaient exceptionnels pour cette saison. En adoptant une silhouette plus ample, il a présenté des pièces basiques élégantes inspirées du « menswear », telles que des bombers, des pantalons plissés et des manteaux croisés, qui étaient magnifiques en brun chocolat ou en noir intense. Christian Wijnants comprend ce que veulent les femmes et enfiler certaines pièces sera un réel plaisir quand l’hiver reviendra.

Nous savons qu’Ester Manas s’intéresse principalement au corps, tout en revendiquant la force et la diversité féminines. Cependant, cette dernière collection était une prise de position sur les robes de mariée et sur le fait que chacun est convié à la fête, peu importe son apparence. En utilisant de la dentelle recyclée, du tulle léger et de la maille côtelée pour créer des robes positives et optimistes, les deux créateurs ont diffusé un message positif et poétique, qui souligne le pouvoir de la création en binôme. En fin de compte, l’union fait en effet la force.