Charly Wittock: de l’architecture au mobilier, à l’échelle des relations humaines

Charly Wittock:
de l’architecture au mobilier, à l’échelle des relations humaines

Categorie: Interviews
Date de publication:
Table C19 ©Awaa

Inventeur de la table c-19, le fondateur du bureau d’architecture AWAA, Charly Wittock dont les projets traversent les frontières, questionne la notion des relations sociales. Ancrée dans l’air du temps, cet élément de mobilier modulable et hybride entend favoriser autant la distanciation que le rapprochement. Cet échange a permis d’aborder avec lui quelques thématiques liées aux grands enjeux de notre société actuelle et future, en observant un retour aux origines de l’homme et de ses savoir-faire.

De par son nom, cette table ne pouvait que faire parler d’elle. Sa réalité dépasse pourtant le contexte lié à la pandémie.

Cette table est d’abord et surtout le fruit d’une réflexion globale. Elle s’inscrit dans un projet que nous avions initié avant le confinement et que nous avons dû momentanément arrêter, comme tous nos autres projets. Il s’agissait de créer un nouveau bâtiment pour les ouvriers de la brasserie Duvel : un lieu de convivialité autour d’une cafétéria et d’un espace douche, notamment. Cette période de pause nous a donné l’occasion de réfléchir à l’évolution de l’architecture. Fruit de notre réflexion, cette table favorise la convivialité conformément au concept de « social ruimtes » pour Duvel ou, si on change la configuration, un certain éloignement.

Votre table revêt une dimension ludique. Comme tout « bon design » selon vous ?

Pour moi, elle est surtout l’expression sensuelle d’un questionnement sur la notion de proximité. Si cette table résulte de notre réflexion sur l’architecture en temps de confinement, elle s’inscrit dans de nombreuses autres thématiques propres à notre époque et à la notion de vivre-ensemble.

Vauxhall ©Awaa
Pour les créatifs, le confinement a été source de nombreuses interrogations. Que faut-il retenir de cette crise selon vous ?

Les périodes de crise nous poussent à revoir nos habitudes de vie et de travail. Elles nous obligent à sortir de notre zone de confort pour explorer d’autres pistes. Dans un contexte inédit, vous êtes forcément amené, au lieu d’appliquer des recettes qui fonctionnent, à en tester de nouvelles. Souvent, le résultat est positif et porteur d’une nouvelle énergie créative. C’est le cas aujourd’hui.

Vous êtes d’abord architecte avant d’être designer. Pour vous, le créatif 2.0 se doit-il d’afficher un profil hybride ?

Ce profil hybride que vous évoquez est fortement lié à la manière dont notre bureau travaille. Notre spécificité, c’est d’être flexibles et à l’écoute. Nos clients font appel à nous dans le cadre de projets qui touchent tant à l’ingénierie qu’au design d’objets et à la logistique d’un bâtiment. Nous vivons dans un monde qui, peu à peu, se libère de cette notion de spécialité. S’il est clair que nous avons besoin de spécialistes, il faut désormais recommencer à envisager les choses sous un angle plus global. D’où l’importance de pouvoir compter sur des profils généralistes et donc hybrides. C’est en combinant les deux approches qu’on remettra de l’humain au centre de la création. Les meilleurs designers sont d’ailleurs ceux qui font preuve de curiosité et d’ouverture d’esprit.

Vous êtes actif à l’international. Pensez-vous que cette crise va rétrécir notre champ d’action ?

Cette question, nous nous la posons tous les jours. Pour nous qui sommes impliqués dans de nombreux projets à l’étranger, le confinement a été le moment de réfléchir à notre manière de voyager. Depuis une dizaine d’années, nous disposons heureusement d’outils techniques permettant de limiter les déplacements, mais ça ne résout pas tout. Nous restons convaincus de la plus-value que nous pouvons apporter dans le cadre des projets que nous menons à l’international. L’idée n’est pas d’innover pour le plaisir d’innover. Ce qui nous intéresse, c’est d’apporter notre regard neuf là où c’est nécessaire et de mettre notre vision au service des modes de fabrication locaux.

Parlez-nous de ces projets justement ?

Nous travaillons sur deux projets en Italie. Le premier, en Sicile, sur une zone agricole fortement restrictive en terme urbanistique. Il s’agit d’une nouvelle habitation qui se fond dans la nature et son paysage. Construite avec de la pierre sèche locale, elle revisite les techniques ancestrales des bâtiments agricoles pour offrir des espaces qui répondent à notre style de vie contemporain. Nous transformons également un centre de congrès et un vieux hameau qui font partie d’une forteresse du XIVe siècle en un B&B de 16 unités dans le nord de l’Italie, près de Trieste. Pour ce second projet, nous proposons des techniques de construction contemporaines dans l’idée de célébrer sept siècles d’architecture. 

Chai ©Serge Brison
Moins voyager, c’est aussi regarder son pays autrement. Qu’en pensez-vous ?

Nous allons, j’en suis convaincu, limiter progressivement les voyages qui n’ont plus de sens. Déjà en 1996, dans le cadre de mon Master en Sciences Environnementales, j’ai effectué un travail de recherche sur l’impact des technologies de réseau sur notre profession. À titre personnel, il est évident que je ne voyagerai plus de la même manière. Mais en la matière, rien n’est blanc ou noir. L’important est d’agir avec intelligence et modération.

D’autant que, parfois, cette multi culturalité s’invite là où on ne l’attend pas.

Nous avons en effet la chance de collaborer, ici en Belgique, avec l’architecte japonais Terunobu Fujimori. Nous traduisons son projet le plus fidèlement possible sans trahir la tradition japonaise et en essayant de respecter les normes belges d’habitabilité. Dans ce cas, en restant tranquillement en Belgique, nous arrivons à créer et échanger comme si on construisait à l’étranger. Il y a non seulement un renversement de rôle, mais également un renversement géographique qui nous permet d’explorer de nouvelles pistes. Tout cela en maintenant un « footprint » se rapprochant du zéro carbone.

Table C19 ©Ramzy Bentrad
Certains projets sont universels. C’est le cas de votre table. Comment en envisagez-vous son développement à l’international ?

Sa forme est simple et sans style marqué. Elle peut se décliner en une multitude de matériaux et s’adapter à toutes sortes d’utilisations.  Elle est née en Belgique pour un projet local, mais durant une pandémie mondiale. Nous avons la chance d’avoir un éditeur basé à New York, belge d’origine, qui va se charger de sa production et de sa distribution sur le continent américain et européen. Reste à espérer qu’elle pourra voyager dans le monde entier et permettre aux utilisateurs de continuer leurs interactions tout en respectant les règles de distanciation sociale. Une fois la crise sanitaire terminée, ces mêmes tables pourront être utilisées dans une idée de proximité d’autant plus intime et universelle.

Quel regard portez-vous sur la création belge ?

Ce qui se passe dans ce pays actuellement est assez fascinant. J’ai quitté la Belgique quand j’avais 17 ans pour y revenir à 30 ans. Entre les deux, la Belgique était devenue un pays d’ouverture. En tant que capitale de l’Europe, Bruxelles a pu bénéficier d’un véritable élan créatif. Pas que dans le registre de l’architecture ou du design, mais aussi de la mode ou du culinaire, par exemple. La richesse des projets qu’on peut observer en Belgique actuellement en atteste.

Qui sont les créatifs que vous suivez de près ?

On peut parler des créatifs, il y en a beaucoup, mais aussi des artisans. Dans le cadre du chai en bois que nous avons imaginé pour le château de Bousval, nous avons collaboré avec Axel Ketele (Timberframing). Ce charpentier au savoir-faire exceptionnel, un vrai passionné, a donné une dimension supplémentaire au projet. On peut aussi citer Zaventem Ateliers, le projet de Lionel Jadot (une ancienne papeterie reconvertie en ateliers de designers, ndlr.) ou encore le travail des cuisiniers qui nous font renouer avec des mets simples, mais admirablement cuisinés. C’est le cas de Richard Schaffer, chef du restaurant 203 à Bruxelles.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, le regain d’intérêt pour le savoir-faire qu’on peut observer depuis plusieurs années ?

Je pense qu’il faut plutôt parler d’un retour aux origines. Si on aborde la question de l’écologie dans l’architecture, nous en sommes arrivés aux limites de ce qui est technologiquement possible pour, par exemple, réduire notre consommation d’eau ou d’électricité. D’où la nécessité de nous interroger ce qui qui, selon nous, traduit le mieux la notion de confort et de la transposer concrètement dans le registre de la cuisine ou du design. Comprendre les enjeux actuels : tout est là !

Interview par

Marie Honnay

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